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Mieux jouer aux échecs
Rudolf Spielmann (1883-1942)
Un des plus grands joueurs d'attaque de tous les temps
Joueur autrichien, Rudolf Spielmann (Autriche 1883- Suisse 1942) fut appelé "le dernier joueur romantique" pour son style audacieux et agressif, et pour utiliser plus que tous autres maîtres du début du XX° siècle, des ouvertures comme le gambit du Roi et le gambit viennois.

Rudolf Spielmann

Rudolf Spielmann, un homme de petite de taille et très amical, était comme Adolf Anderssen : sa personnalité n'avait rien à voir avec son style très agressif aux échecs. La différence avec Anderssen toutefois est qu'il n'évoluait pas dans la période romantique et l'élément défensif occupait déjà une place importante dans le jeu des joueurs de son époque. Les concepts positionnels avaient la faveur des maîtres de cette l'époque et le jeu strictement tactique avait alors perdu de sa popularité. Les joueurs irrésistibles qui offraient encore ce type de jeu étaient considérés comme des reliques qui s'accrochaient à une ère primitive du jeu. Étant un amant des ouvertures de gambit, Spielmann joua plusieurs parties de "fiers à bras" mais n'avait toutefois pas l'impression d'avoir atteint son plein potentiel. Il décida alors, vers la fin des années 1920, d'étudier les concepts positionnels du jeu et les fins de partie. Ces changements dans son style l'amena alors parmis les dix meilleurs joueurs du monde de l'époque. Reuben Fine a écrit de lui que son seul but dans la vie, à part les échecs, était d'amasser suffisamment d'argent pour pouvoir s'acheter des quantités inépuisables de bière!

Contemporain des plus grandes figures de l'histoire des échecs, comme : Alekhine, Capablanca, Löwenfisch, Lasker, Teichmann, Tarrasch, Maroczy, Breyer, Bogoljubov, Dus-Chotimirski, Vidmar, Burn, Rubinstein, Grunfeld, Schlechter, Mieses, Saemisch, Wolff, Duras, Marshall, Nimzovitch, Alapin, Tartakower, Rabinovitch, Marco, etc. il réussit, malgré cette très forte opposition, à obtenir d'importants succès en tournois, par exemple :

- 1° à Bad Pistyan en 1912 avec Rubinstein, Marshall, Schlechter, Duras, Teichmann.
- 2-3° à San Sebastian en 1912 : Rubinstein, Nimzowitsch, Spielmann.
- 1° à Stockholm en 1919, devant Bogoljubow, Rubinstein et Reti
- 1° à Bad Pistyan en 1922 avec Bogoljubov, Alekhine, Gruenfeld, Retil, Saemisch, Wolff.
- 1° à Vienne en 1923 avec Tartakower et Reti.
- 1° à Semmering en 1926, devant Alekhine, Vidmar, Nimzowitsch et Tartakower.
- 1° à Magdeburg en 1927.
- 5° à New York en 1927 (le tournoi qui devait désigner le challenger de Capablanca),
Capablanca devant Alekhine, Nimzovitch, Vidmar, Spielmann & Marshall.
- 3° à Budapest en 1928 : Capablanca, Marshall, Spielmann.
- 3° à Zandvoort en 1936 : Fine, Maroczy, Spielmann, Tartakower, Bogoljubov.

Il fut un véritable joueur professionnel des échecs, mais aussi écrivain et journaliste : son livre le plus connu, "L'art du sacrifice aux échecs", aujourd'hui épuisé, fut pendant longtemps une oeuvre très appréciée et le premier livre à établir une classification du sacrifice.

Avant de nous intéresser aux parties d'échecs et au jeu de Rudolf Spielmann - alors que la plus grande confusion règne encore de nos jours avec plusieurs "champions du monde d'échecs" - revenons un instant sur une lettre célèbre et les circonstances qui l'accompagnent.

Capablanca fut probablement le champion du monde le plus juste de l'histoire des échecs. Non seulement il accepta de disputer un match contre Alekhine à Buenos Aires en 1927, sinon qu'en 1922, seulement un an après avoir conquis le titre, il prépara le "Protocole de Londres", un ensemble technique, économique et échiquéen permettant, d'une manière objective et donc assez juste, que n'importe quel joueur puisse arriver à disputer le titre de champion du monde.

Le bénéficaire de cette situation fut Alekhine, qui, après avoir battu Capablanca - contre tous les pronostics - et conquit le titre de champion du monde en 1927 à Buenos Aires, refusa par tous les moyens le match de revanche que souhaitait non seulement Capablanca, mais aussi la majeure partie des amateurs de l'époque.

Un joueur de la taille d'Alekhine, un géant de l'histoire du jeu n'accepta jamais d'exposer son titre devant le génial cubain. Par contre, il n'eut aucun inconvénient à le défendre face à Efim Bogoljubow, maître important du moment, mais joueur clairement inférieur à Alekhine.

L'attitude d'Alekhine fit rétrograder les échecs de plus de 50 ans, revenant au système primitif de la désignation "au doigt", subjective, capricieuse et injuste. De plus, cette attitude mena à une véritable situation de blocage, empêchant Capablanca d'obtenir des succès dans les tournois internationaux, en exigeant des organisateurs de tournois beaucoup plus d'argent pour participer, dans les cas ou Capablanca était invité.

Cela amena l'avocat juif autrichien Rudolf Spielmann à publier la célèbre lettre ouverte "J'accuse" dans le "Wiener Schach Zeitung" en 1932, lettre que nous reproduisons ici pour son intérêt historique (les mots en majuscules proviennent de la lettre originale) :

"J'ACCUSE"

Par Rudolf Spielmann

"Illustre CHAMPION DU MONDE", Dr. Alekhine:

Vous serez certainement surpris, Monsieur le CHAMPION DU MONDE, de mon affront, qui n'a pas de modération ni même devant les marches de votre trône. Néanmoins, "J'ACCUSE". Naturellement, pas son jeu génial, pour lequel, comme enthousiaste des échecs, je suis hautement émerveillé. Non. Mon accusation ne se réfère pas au CHAMPION DU MONDE, docteur Alekhine, sinon au collègue docteur Alekhine. Parce que, malgré ses prodiges échiquéens, nous sommes encore ses collègues de profession, desquels, en fin de compte, vous avez même besoin pour ces prouesses immortelles.

Un proverbe dit: "LA RICHESSE EST UN COUTEAU PRÉCIEUX, MAIS QUI EST NÉCESSAIRE POUR COUPER LE PAIN ET NON POUR BLESSER". Ses prédécesseurs: Steinitz, Lasker, Capablanca, ont eu foi en ce proverbe et l'ont mis en pratique dans les "Grands Tournois" pour obtenir les meilleures conditions générales pour tous. Vous ne vous offenserez pas si j'examine avec quels fins vous avez utilisé vos armes tranchantes de CHAMPION DU MONDE. Essayez de comprendre qu'en moi ne parle pas l'envie. Je serais le dernier à m'opposer à votre droit, conquit avec fatigue. Dans tout, les collaborations les plus élevées son récompensées d'une façon particulière : Pourquoi ne devrait-il pas en être ainsi aux échecs ?

Néanmoins, vous, tant à San Rémo en 1930, comme à Bled en 1931, en plus des honoraires extraordinaires, vous avez imposé des conditions spéciales et avez "pratiquement" éliminé Capablanca de ses tournois. Naturellement, vous ne l'avez pas éliminé directement, mais avez caché un procédé beaucoup plus occulte, qui ne change en rien l'essence des choses, procédé que moi, en tant d'expert, je veux examiner. Capablanca doit-il expier, ainsi, aussi durement, sa victoire de New York, 1927?

Mais oublions le passé, déjà enterré, et mieux, occupons-nous de votre collègue Nimzowitsch, qui devrait être, après vous et Capablanca, le maître le plus côté actuellement. N'est-il pas étrange qu'il n'ait pas obtenu d'invitation pour le Tournoi de Londres, ni pour celui de Berne? Au moins, il vous aurait été facile d'établir les conditions pour son invitation. Comme lauréat en lois, le "dolus eventualis" vous sera certainement connu.

Plus encore. Même moi, pauvre joueur d'échecs, il semble que je me suis transformé en concurrent "indésirable". Il n'y a pas d'autres moyens d'expliquer mon brusque éloignement de Berne, déjà que depuis deux mois j'ai cessé de recevoir, régulièrement, les invitations, et celles reçues ne l'étaient pas du tout de manière spontanée.

Le Comité de Berne décida, évidemment suite à votre adhésion tardive, qu'un maître international se convertirait en "surnombre".

MES FÉLICITATIONS POUR SON EXTRAORDINAIRE INFLUENCE. Quelle puissance au monde, hors de celle du CHAMPION DU MONDE, aurait pu empêcher la Fédération Suisse des échecs, d'inviter sept, au lieu de six maîtres internationaux? L'équipe Suisse aurait été fortement représentée avec neuf hommes, ce qui aurait été suffisant, pour sa représentation.

Ainsi, mon cher CHAMPION DU MONDE, évitez ce qui arrive à vos adversaires, sinon vous obtiendrez de grands triomphes à cause de la DÉVALORISATION DU MONDE DES ÉCHECS ; déposez, donc, le bâton de commandement, dans le cas contraire je devrais vous répéter la parole biblique du prophète Oseas: "QUI SÈME LE VENT, RÉCOLTE LA TEMPÊTE".

La mesure est pleine. De part et d'autre de l'océan, des voix furieuses de protestation s'élèvent contre la DICTATURE DU CHAMPION DU MONDE."

Signé, Rudolf Spielmann.

Spielmann est mort en Suisse, en 1942, mais sa prophétie s'accomplit entièrement. Alekhine récolta seulement la tempête après la seconde guerre mondiale, matérialisée en cela par ce qui fut nommé le "Comité de Londres", formé durant le tournoi de la "Victoire" de 1946, où participèrent des représentants des puissances victorieuses et Alekhine s'y retrouva marginalisé car jugé antisémite.

Note :
Le "dolus eventualis" mentionné par Spielmann est un point technique très subtil qui provient du Droit Pénal et qui parle de lui-même.
Il consiste dans la conscience de la haute probabilité d'un résultat non désiré directement par son auteur.
Par exemple, un homme fume dans une station à essence. Il ne souhaite pas qu'il y ait un incendie, mais il est conscient que par le fait de fumer cela est fort possible.
Autre exemple, un homme circule à 130 km à l'heure dans une zone scolaire à l'heure de la sortie des classes ; il ne souhaite pas renverser quelqu'un, mais il est conscient que si un enfant traverse, il lui sera difficile de ne pas l'écraser.

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Revenons maintenant au jeu et faisons connaissance avec le style Spielmann.
Nous ferons ainsi un tour d'horizon des différents types de sacrifice.
Débutons par un exemple simple de sacrifice de développement :

"La possibilité de transmuter occasionnellement la matière en énergie et l'énergie en matière représente une des qualités merveilleuses du jeu d'échecs et peut-être même son secret véritable". R. Spielmann

Bernstein O - Spielmann R [D32]
Ostende, 1906

1.d4 d5 2.c4 e6 3.Cc3 c5 4.cxd5 exd5 5.dxc5 d4 6.Ca4 Fxc5 7.Cxc5 Da5+ 8.Dd2? 8.Fd2 est meilleur. 8...Dxc5 9.b4 Db6 10.Fb2 Cc6 11.a3 Fe6 12.Cf3 Td8

13.Dg5?
Les Blancs ont une position incommode. Le pion d4 presse sur leur jeu et ne peut pas être facilement éliminé. La sortie de la Dame entreprise alors que l'aile roi n'est encore absolument pas développée, doit gagner un temps, ce qui la justifierait. Cela pose la question de savoir comment seraient les Blancs s'ils prenaient en g7, dont l'attaque devait procurer le gain d'un temps. Et le problème est en même temps résolu : ce n'est pas le pion g7 qui doit être assuré, mais la Th8 attaquée avec lui! 13.e3; 13.g3 étaient meilleurs. Suit le sacrifice de développement :

13...Cf6! 14.Dxg7?
Logique mais téméraire : mieux14.Dc5!? avec une finale peut-être tenable.

14...Re7 15.Dh6 la menace était déjà 15...Cxb4!, etc. 15...Thg8 16.Td1 a5 17.Dd2 Ce4 18.Dc2 f5 19.bxa5 Dxa5+ 20.Cd2 Ce5 21.Fc1 Td6 22.f3 Cc3 23.g3 Tb6 24.Rf2 Tc8 25.Rg1
Une gaffe, mais de toutes façons il n'y avait plus rien à faire, car les Blancs perdaient au moins une Tour.

25...Cxe2+ 0-1

En une époque où le jeu d'échecs se faisait science, Rudolf Spielmann le pratiqua en art plus que tout autre. Son jeu brillant reste inégalé. Son imagination débordante l'amenait à concevoir les sacrifices les plus risqués, ceux que l'on "sent" mais que l'on ne calcule pas.

Comme avec le sacrifice de développement, le sacrifice d'obstruction a pour but l'avance de développement. Seuls les moyens sont différents. Avec le sacrifice d'obstruction, l'attaquant tente d'empêcher le développement adverse. En général il n'implique que le sacrifice d'un pion. En voici un exemple :

Spielmann R - Landau S [B02]
Amsterdam m, 1933

1.e4 Cf6 2.Cc3 d5 3.e5 Cfd7 4.e6!
Le sacrifice d'obstruction sous sa forme la plus simple et la plus fréquente!

4....fxe6 5.d4 Cf6 5...e5! 6.dxe5 e6

6.Cf3 c5 7.dxc5 Cc6 8.Fb5!
Les Blancs empêchent maintenant e6-e5 de manière durable. Cela suffit pour obtenir un avantage décisif.

8...Fd7 9.0-0 Dc7 10.Te1 h6 11.Fxc6 bxc6 12.Ce5 g5 13.Dd3 Tg8 14.b4 Fg7 15.Dg6+ Rd8 16.Df7 Fe8 17.Dxe6 Tf8 18.b5 Ce4
Les Noirs avaient placé tous leurs espoirs dans ce coup, mais :

19.Txe4! dxe4
19...Fxe5?! 20.Txe5 Tf6 21.Txd5+!

20.Ff4! Fxe5 21.Fxe5 Dd7 22.Td1 cxb5 23.Txd7+ 23.c6! est encore plus fort.
23...Fxd7 24.Dxh6 Tg8 25.c6 Fe8 26.Cxb5 1-0

Nul mieux que Rudolf Spielmann ne pouvait définir la nature du sacrifice. En lieu et place des pseudos-sacrifices (donner la Dame pour mater quelques coups plus tard, ou sacrifier une pièce pour la récupérer avec avantage sur une combinaison forcée, ne sont pas des sacrifices au sens véritable du terme), il se pencha sur les sacrifices vrais de caractère spéculatif. A cet égard, la justesse d'un sacrifice va au-delà de sa correction, car tout comme Tal (ou Chirov aujourd'hui), Rudolf Spielmann tenait compte de l'élément psychologique dont on a reconnu désormais l'importance.

Match Landau-Spielmann. (Max Euwe joue le premier coup)

Sous l'appellation "sacrifice perturbateur" (ce terme ne plaisait pas beaucoup à Spielmann, mais il n'en trouva pas de plus adapté) on regroupe tous les sacrifices qui empêchent le roque adverse, et de ce fait visent à une attaque directe sur le Roi. Pour un objectif de cette taille, l'attaquant peut donner un pion, et parfois même une pièce.

Mieses J - Spielmann R [C45]
Match 03, Regensburg, 1910

1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.d4 exd4 4.Cxd4 Fc5 5.Fe3 Fb6 6.Fc4 d6 7.Cc3 Cf6 8.Cxc6 bxc6 9.Fg5 0-0 10.Df3 Fe6 11.Fd3
On pouvait jouer 11.Fxf6 Dxf6 12.Dxf6 gxf6 13.Fd3. La paire de Fous que j'escomptais n'aurait dans ce cas suffi que pour l'égalité.

11...Fd4 12.Dg3 Tb8 13.Cd1 Ch5! Spielmann juge 13...Fxb2?! comme douteux. 14.Dh4 Ff6! 15.Fxf6 Cxf6 16.f4 Menacant 17.e5, mais 16...0-0 était préférable. 16...c5 16...Ce8 était suffisamment bon. Je voulais provoquer 17.b3 pour continuer par 17...Cg4 suivit éventuellement de Df6. Sur 17.e5 la suite devrait être 17...c4!, ce qui menace d'ailleurs.

17.c4 Si 17.e5 c4!. Les jeux sont maintenant à peu près égaux. Contre la menace 18.e5 les Noirs pourraient se défendre par 17...Cg4 ou 17...Cd7 (18.Dxd8 Tfxd8! 19.f5 Ce5!). Mais les Blancs n'ont pas roqué et ont un retard de développement, ce qui offre l'occasion d'un sacrifice perturbateur surprenant.

17...d5! 18.exd5 Après 18.e5 Ce4 19.Dxd8 Tfxd8 20.cxd5 ou 20.Fxe4 les Noirs, grâce à leur avance de développement, ont la meilleure partie.

18...Fxd5!! 19.cxd5 Dxd5
Les Noirs ont maintenant une pièce de moins, mais par l'ouverture des deux colonnes centrales, ils ont accru leur avance de développement de manière considérable.

20.Dg3 Tfe8+ 21.Fe2 Tbd8 22.Cc3 Dd2+ 23.Rf1 Cd5 24.Te1 Cxf4 25.Df2 Td4 26.g3
Le coup séduisant 26.Td1 échoue sur la réponse puissante 26...Dxe2+! 27.Dxe2 Cxe2 28.Te1?? Tf4#

26...Ch3 27.Df5 Dxb2 28.Dxh3? Il fallait jouer 28.Cd1 Dd2! 29.Dxh3 Tde4 30.Cf2! Txe2 31.Txe2 Dxe2+ 32.Rg2 h5! Le coup du texte perd rapidement.

28...Dxc3 29.Df5 Tde4 30.Df2 Dd2 31.Tg1 T4e6 32.Tg2 Tf6 33.Ff3 Txe1+ 0-1

Spielmann remporta ce match en 8 parties contre Mieses par 6 à 2.

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Tartacover-Spielmann

Les sacrifices de chasse (aujourd'hui nommé plus communément sacrifice d'attraction) ont pour but de chasser le Roi ennemi à découvert en plein échiquier. Même si le Roi réussit à survivre aux attaques directes, le danger n'en est pas surmonté pour autant. Hors de sa protection de pions, le Roi ne peut pas se maintenir longtemps, et il doit à nouveau émigrer vers un abri plus sûr.

Spielmann R - Rubinstein A [D55]
XVI° Mémorial Léopold-Trebisch, Vienne, novembre 1933

1.d4 Cf6 2.c4 e6 3.Cc3 d5 4.Cf3 Fe7 5.Fg5 0-0 6.e3 b6 Avant de jouer ce coup, il est préférable d'intercaler 6...h6 ce qui mène à la défense Tartakover. 7.Fd3 Fb7 8.Fxf6 Fxf6 9.cxd5 exd5 10.h4! c5?

Par 10.h4 les Blancs avaient clairement manifesté leur intention de sacrifier en h7. Habitués à ce que Fxh7+ ne soit presque toujours qu'un pseudo-sacrifice aboutissant à une décision directe, les Noirs en sont arrivés à la conclusion que le sacrifice devait être incorrect. Mais les Noirs ne prennent pas en considération les dangers pratiques auquel l'incitation au sacrifice peut les exposer. Dans la pratique, ce n'est en aucun cas la situation objective mais bien les difficultés relatives à dominer la tâche qui décident. Si celle-ci est particulièrement difficile, la plupart du temps le joueur n'y parviendra pas, même si les choses sont objectivement en sa faveur.

11.Fxh7+! Rxh7 12.Cg5+ Rh6 Forcé.
Aussi bien 12...Fxg5 13.hxg5+, etc., que 12...Rg8 13.Dh5, etc., et finalement 12...Rg6 13.Dd3+, etc., mèneraient sur-le-champ à la défaite.

13.Dd3 g6 14.h5! Fxg5
14...Rxg5 15.f4+! Rh6
(15...Rg4 16.Cd1 Fh4+ 17.Cf2+ Fxf2 18.Rxf2 menaçant g3 suivi de Th4+) 16.hxg6+ Rg7 17.Th7+ Rg8 18.0-0-0 suivi de Tdh1 et l'attaque semble aboutir. Les analystes modernes ne sont pas d'accord avec cette affirmation et continuent par 18...Fg7 19.Tdh1 Df6 20.gxf7+ Txf7 21.g4 Cd7! l'avantage matériel noir est décisif alors que l'attaque blanche est enlisée. Il semble bien que 14...Rxg5! réfute le sacrifice 11.Fxh7 Mais même alors, les Noirs peuvent bien ne pas toujours jouer les meilleurs coups. Ce qui correspond bien à l'esprit avec lequel Spielmann considérait le sacrifice véritable.

15.hxg6+ Rg7 16.Th7+ Rf6
C'est l'astuce : le Roi noir doit sortir à l'air libre. Sur 16...Rg7? suivrait 17.gxf7+ et mat en deux coups.

17.0-0-0! c4 18.De2 Re7 19.f4 Ff6 20.e4! dxe4 21.Cxe4 Rd7
En 21 coups, roque inclu, les Noirs ont joué sept fois le Roi, qui reste toujours très mal placé. Cette circonstance caractéristique du sacrifice de chasse saute ici aux yeux.

22.d5 Ca6 23.g7! Tg8 24.Th6!
La pièce ne peut plus être sauvé. Si 24...Fe7 suit 25.d6 et après, éventuellement Dg4+, ou l'inverse. Les Noirs se décident à un geste de désespoir, et ils donnent plutôt la Dame.

24...Fxg7 25.Td6+ Rc7 26.Dxc4+!
C'est bien plus fort que la prise immédiate de la Dame à laquelle les Noirs répondraient 26...Taxd8, et avec leur finalement en sécurité, Tour et deux Fous contre la Dame et deux pions, ils obtiendraient une partie encore parfaitement jouable.
Le coup du texte perturbe d'abord la liaison des Tours noires.

26...Rb8 27.Txd8+ Txd8 28.Rb1 Cc7 29.d6 Ce6 30.f5 Fxe4+
30...Tc8 était un tout petit peu mieux, mais la défaite était inévitable.

31.Dxe4 Cc5 32.Dc6 Tc8 33.Dd5 Td8 34.Dxf7 Td7 35.Dg8+ Rb7 36.Dd5+ Rb8 37.Dc6 a5 38.Dxb6+ Cb7 39.Dc6 Td8 40.Dc7+ 1-0

Pour s'exprimer avec le vocabulaire de la bourse, toutes les pièces du jeu d'échecs ont un double cours, un cours d'émission et un cours journalier. Le premier représente la valeur absolue et le second la valeur relative. Plus la position est simple, plus la valeur absolue se fait sentir, mais plus la position est compliquée, plus la valeur relative gagne en importance. Il existe cependant une valeur, qui, du point de vue matériel ne peut pourtant pas être réalisée avec exactitude. C'est la "qualité".

Nous savons que Cavalier et Fou, Dame et deux Tours, Dame et trois pièces légères, deux Tours et trois pièces légères sont équivalents, et aussi que trois bons pions compensent à peu près une pièce. Mais pour la qualité c'est différent.
Une Tour correspond exactement à une pièce légère et demie ou à une pièce légère et un pion et demi. Mais il n'existe ni demi-pièce, ni demi-pion. Aussi le sacrifice de qualité est-il lié à certaines prévisions positionnelles ou de combinaisons. Le sacrifice de qualité peut poursuivre tous les buts déjà exposés : développement, obstruction, sur le roque, etc. La plupart du temps il sert à améliorer la position de ses propres pièces légères. Démonstration :

Spielmann R - Tarrasch S [C30]
Karlsbad, 1923

1.e4 e5 2.f4 Fc5 3.Cf3 d6 4.c3 Fg4 5.fxe5 dxe5 6.Da4+ Fd7 7.Dc2 Cc6 8.b4 Fd6 9.Fc4 Cf6 10.d3 Ce7 11.0-0 Cg6 12.Fe3?!
12.a4!
était plus fort. Les Noirs obtiennent maintenant du contre-jeu.

12...b5! 13.Fb3 a5 14.a3! axb4 15.cxb4 0-0
Par l'avance à l'aile dame, le joueur en second est parvenu à forcer c3xb4 et à créer ainsi un affaiblissement dans le centre ennemi. Le gain d'un pion par 15...Fxb4 serait réfuté par 16.Cg5! 0-0 17.Cxf7 Txf7 18.Fxf7+ Rxf7 19.Db3+ Fe6 20.Dxb4.

16.Cc3 c6 17.h3 De7 18.Ce2 Fb8
Les Noirs voudraient échanger le Fe3 par Fa7 pour installer ensuite un Cavalier en f4. La manœuvre est un peu laborieuse. Le plus simple était immédiatement 18...Ch5.

19.Rh2 Fa7 20.Fg5 h6 21.Fxf6 Dxf6 22.Cfd4 Dd6 23.Cf5 Fxf5 24.Txf5 Cf4 25.Tf1 g6?

Jusqu'ici les Noirs s'étaient défendus habilement en accumulant en plus des avantages positionnels. Ils ont la meilleure structure de pions, car a3 et d3 sont arriérés et peuvent devenir faibles.
Par contre, les Blancs exercent en échange une forte pression sur la colonne "f". Il eût été meilleur de refuser le sacrifice de qualité tacitement offert par 25.Tf1. dans ce but, seul 25...Ce6!? convenait. Sur 26.Da2 (avec la menace 27.Txf7 suivi de Fxe6) les Noirs répondent 26...Tae8 menaçant de se libérer par 27...f6 suivi de Rh8 pour commencer l'attaque contre les pions faibles. Le coup du texte "gagne" bien une qualité, mais a pour conséquence que l'attaque vers f7 s'étend à toute l'aile roi.

26.T1xf4 exf4 27.e5! De7 28.Tf6! Rg7
28...Dxe5 29.Txg6+ Rh7 30.d4 Dxe2 31.Txh6+ Rxh6 32.Dxe2
était peut-être meilleur.

29.d4 Fxd4!?

Un acte de désespoir. 29...Tad8 a pour simple réponse 30.De4.

30.Fxf7! 30.Cxd4? Dxe5

30...Fxe5?
Il fallait jouer 30...Txf7 31.Dxg6+ Rf8, bien qu'après 32.Cxd4 Txf6 33.exf6 Df7 34.Dxh6+ Re8 35.Dxf4 les Noirs sont perdus. Le coup du texte permet un mat en deux coups.

31.Dxg6+ 1-0

Le sacrifice de qualité a, dans cet exemple, considérablement accru l'efficacité de toutes les autres pièces blanches, et avant tout de la seconde Tour qui a obtenu une position dominante.

Conclusion : si le camp ayant sacrifié conserve après un sacrifice de qualité, une Tour, la paire de Fous et un bon pion de plus et que par ailleurs les jeux sont sensiblement égaux, le désavantage matériel tout théorique et qui se monte à un demi-pion, n'entre plus en ligne de compte. Naturellement la paire de Fous ne peut être comptée comme élément positif que si l'adversaire ne l'a plus lui-même.

D'autre part, dans les positions fermées ou restreintes, le sacrifice de qualité pourra être risqué d'un cœur léger, car en de tel cas les Tours sont maladroites ; même en renonçant au pion de plus et à la paire de Fous, le risque n'est pas très grand.

Pour illustrer sa conception et la difficulté à évaluer une position après un sacrifice de qualité, Rudolf Spielmann donne la position suivante, issue d'une vieille variante,
après :

1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fc4 Fc5 4.0-0 d6 5.c3 Fg4 6.d4 exd4 7.Db3 Dd7 8.Fxf7+ Dxf7 9.Dxb7 Rd7 10.Dxa8 Fxf3 11.gxf3 dxc3 12.bxc3 Dxf3 13.Cd2 Dh3 14.Df8 Cf6 15.Dxh8 Cg4 16.Dxg7+ Ce7 17.Cf3 Dxf3 18.Fe3 Cxe3 19.Dg3 Dxg3+ 20.hxg3 Cxf1 21.Rxf1

La théorie donne ici l'avantage aux Noirs, mais Spielmann n'est pas d'accord.

"Le pion "h" est isolé et il faudra le surveiller constamment, et de ce fait le joueur en second sera réduit à la défense. Cela suffit pour donner à la Tour sa plus grande efficacité et le léger désavantage matériel (un demi-pion!) sera plus que compensé".

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Rudolf Spielmann en simultanée

Nous terminerons ce tour d'horizon des sacrifice vu par Spielmann avec le bien connu et toujours très spectaculaire sacrifice de Dame.

Spielmann R - Moller J [C33/02]
Goteborg, 1920

1.e4 e5 2.f4 exf4 3.Df3?
Le gambit Breyer
, allant à l'encontre de tous les principes!

3...Cc6 4.c3 Cf6 5.d4 d5 6.e5 Ce4 7.Fb5
Une tentative d'éviter la théorie qui continue par 7.Ff4 Fe7 suivi de 0-0 et de f6 en faveur des Noirs.

7...Dh4+ 8.Rf1 g5

Les Noirs menacent de gagner maintenant par 9...Fg4. Cette suite est considérée comme plus dangereuse pour les Blancs que : 8...Cg3+ 9.hxg3 Dxh1 10.gxf4 après quoi les Blancs obtiendrait pour la qualité perdue de très bonnes perspectives d'attaque. En jouant 7.Fb5 j'avais surtout compté avec cette variante. La riposte adverse pose un nouveau problème à l'attaquant. 9.g3 ne va pas, car il suit 9...fxg3 10.hxg3 Dxh1! suivit de Cxg3+, etc. Le surprenant sacrifice suivant est la seule continuation prometteuse.

9.Cd2! Fg4

Gagne la Dame. Les Noirs auraient pu refuser le sacrifice par 9...Ff5. La suite eût été 10.Fd3 et le dangereux Ce4 est éliminé. Il faut encore établir si les Blancs peuvent se consoler de la perte de la qualité après 10...Cg3+ 11.hxg3 Fxd3+ 12.Dxd3 Dxh1 13.gxf4 gxf4 suivi de 0-0-0.

10.Cxe4 Fxf3 11.Cxf3 Dh6 12.Cf6+ Rd8 13.h4!

La pointe. Certes, les Noirs ont Dame contre fou et Cavalier, mais par le coup du texte leur structure est démolie, si bien que des pertes de pions deviennent inévitable.
Le Roi blanc est en sécurité, alors que le noir va devoir chercher un abri. Finalement, en raison de la structure d'acier des pions adverses, la Dame noire, durant un temps indéterminé, ne va pas pouvoir trouver une digne occupation et elle devra s'estimer heureuse d'échapper à ses persécuteurs, les pièces légères blanches.
Voilà les raisons qui ont poussé Spielmann à effectuer ce sacrifice de Dame.

Le fait qu'un sacrifice cause souvent à celui qui en est victime confusion et absence de plan, est aussi confirmé par cet exemple.

13...Fe7
13...Ce7 14.Fd3!
et la Dame noire se trouve dans l'embarras. De telles positions, en raisons des possibilités étendues ne sont pratiquement pas analysables, car les recherches mèneraient beaucoup trop loin. Les chances de l'attaquant en sont naturellement d'autant plus grandes sur l'échiquier, car il peut toujours compter que l'adversaire ne trouvera pas constamment la suite la plus forte.

14.Cxg5 Dg6 15.Cxd5 Fxg5 16.hxg5 Dc2?
Ici la Dame est mal placée et va se retrouver en danger. 16...Dxg5 était meilleur bien que les Blancs conservent aussi leur supériorité par 17.Cxf4! (17.Fxf4? Df5 avec la menace 18...Ce7) qui gagne un temps à cause de la menace 18.Ce6+.

17.Fe2 Ce7 18.Cxf4 c5?
Les Blancs, avec la paire de Fous et deux forts pions immédiatement utilisables, ont pratiquement atteint l'égalité matériel. Mais 18...c5? est une faute, les Noirs en sous-développement ouvrent les lignes aux Blancs; il fallait jouer 18...c6 suivi de Rc7.

19.Th3! cxd4?
La faute décisive! La Dame noire devait fuir, au mieux en f5, mais de toutes façons la partie noire était déjà très mauvaise, par exemple : 19...Df5 20.Tf3 cxd4 21.cxd4 Tc8 22.Fd3 Dg4 23.Ce2, etc.

20.Td3!
La Dame noir est ainsi enfermée et la menace est 21.Fd1. La seule possibilité de fuite consiste en 20...Da4, mais suit alors 21.Txd4+, etc.

20...Rd7 21.Fd1 Dxd3+ 22.Cxd3 dxc3 23.bxc3
Avec la supériorité de deux Fous et pion contre une Tour avec une position dominante, las Blancs gagnent maintenant facilement.

23...Thd8 24.Fe2 Cf5 25.Ff4 Rc7 26.Tb1 b6 27.e6+ Rc8 28.Ce5 1-0

Spielmann après la perte d'une partie, avait l'habitude de sombrer dans un complet découragement. Cela lui arriva aussi à Carlsbad en 1923. Dans la troisième ronde il battit encore Reti, mais dans la quatrième il perdit contre Rubinstein, cela en fut fait de lui; il se mit à jouer au lance-pierres et perdit les parties l'une après l'autre.
Un soir, vers la fin du tournoi, alors que Spielmann se trouvait un peu éméché et somnolent, Reti commença à s'adresser à sa conscience :
" Mon vieux Spielmann, vous qui êtes l'un des plus grands joueurs d'attaque de tous les temps, je me sens presque enclin à me demander si c'était joli de votre part de m'avoir battu si brillamment à la troisième ronde pour faire ensuite si simplement cadeau des points à mes concurrents."
Le reproche de Reti dut l'atteindre au plus profond de lui-même, car il répondit très ému : " Bon, demain, je vais gagner." Gagner ? Reti sursauta : "Mais vous jouez contre Alékhine !" "Cela ne fait donc rien." "Et vous jouez avec les Noirs!" "D'autant mieux." Reti secoua la tête et se détourna. Il n'y a vraiment rien à faire avec des gens comme ça, pensa-t-il.
Et l'on en arriva à cette partie. Alors que la finale était ajournée, Spielmann causa une grande frayeur aux concurrents d'Alékhine en déclarant que son Fou était tellement fort qu'il ne le donnerait même pas contre la Tour. Et il gagna.
Après la victoire de Spielmann, Alékhine revint à sa chambre d'hôtel, et pour se calmer, il en démolit l'installation. (Hans Kmoch, L'art de jouer les pions).

Alekhine A - Spielmann R [D37/02]
16, Karlsbad, 1923

1.d4 Cf6 2.c4 e6 3.Cf3 d5 4.Cc3 Cbd7 5.Ff4 dxc4 6.e3 Cb6 7.Fxc4 Cxc4 8.Da4+ c6 9.Dxc4 Cd5 10.Fe5 f6 11.Fg3 Db6 12.De2 Fb4 13.Tc1 Cxc3 14.bxc3 Fa3 15.Td1 Db5 16.c4 Da5+ 17.Cd2 0-0 18.0-0 b6 19.f4 Fa6 20.Fe1 Da4 21.Tf2 Tad8 22.Tb1 c5 23.dxc5 Fxc5 24.Cb3 Fa3 25.Cd4 Fxc4 26.Dg4 f5 27.Dg3 Tf7 28.h3 Fc5 29.Td2 Tc7 30.Rh2 Fxd4 31.exd4 Fd5

La suite de la partie est analysée en détail dans l'article concernant le thème "Bon Fou contre mauvais Fou".

32.De3 Tdc8 33.De5 h6 34.Tbb2 Tc3 35.De2 Da3 36.Td1 Dxb2 37.Dxb2 Tc2 38.Td2 Txb2 39.Txb2 Tc4 40.Fb4 a5 41.Fd6 Rf7 42.a3 Tc6 43.Fb8 Re8 44.Fa7 Tc7 45.Fb8 Tc8 46.Fe5 g6 47.g4 Tc3 48.gxf5 gxf5 49.Txb6 Txa3 50.Fd6 Tc3 51.Fc5 h5 52.h4 a4 53.Ta6 Tc2+ 54.Rg1 Tg2+ 55.Rf1 Tg4 56.Txa4 Txh4 57.Fd6 Th1+ 58.Rf2 h4 59.Ta7 Th2+ 60.Rf1 h3 61.Te7+ Rd8 62.Th7 Ta2 0-1

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