Le but de cette intervention est d'essayer de
faire des précisions sur le jeu d'échecs en tant que
sport et en tant que pratique. La notion de vertu semble peut-être
étrange, mais elle n'a pas à l'origine la connotation
morale qu'elle possède aujourd'hui. Le mot vient du grecque
arèté, qui désigne une certaine
excellence. C'est ainsi que Homère parle de l'arèté
des jambes d'un coureur par exemple. L'arèté
des jambes est alors la force et la vitesse. La notion désigne
d'abord l'excellence physique, mais c'est une question importante
de savoir, s'il existe une certaine excellence de l'esprit et si
les échecs sont une forme d'excellence de l'esprit.
D'abord : est-ce que les échecs sont un
sport ?
On ne connaît pas bien l'origine du sport, mais on en connaît
plus sur les jeux olympiques. On compte ces jeux à partir
de 776 avant J.C., où la seule épreuve était
celle du stade, c'est à dire une course à pied d'environ
192 mètres. C'est d'ailleurs une erreur de parler des jeux
olympiques et penser aux sports, tant les épreuves étaient
comprises dans une fête religieuse, où il y avait des
concours musicaux également. Après cette unique course
à pied allait s'ajouter dans les concours suivants, la course
du double stade, une course appelée course lente qui bientôt
disparaissait du programme, et le pentathlon qui comprenait cinq
disciplines : la course à pied, le lancer du disque, le lancer
du javelot, le saut en longueur et la lutte. Le programme des jeux
de 520 avant J.C. (un programme qui allait se répéter)
comprenait en outre la course avec armes, le pugilat, la course
de char, le combat de pancrace et la course de chevaux.
A quoi correspondent ces disciplines ? Elles
ont toutes quelque chose à voir avec le guerrier, le bon
combattant. Si les jeux olympiques étaient une fête
religieuse, ils étaient aussi une trêve des combats
éventuels et pendant une période, la course avec armes,
bouclier, lance, casque était la dernière discipline
afin de signifier la fin de la trêve.
Le pugilat était en outre une sorte de simulation de combat,
dans le sens où la main gauche servait à riposter,
la main droite pour frapper des coups, tandis que dans le vrai
combat la main gauche portait le bouclier et la main droite le
glaive. Le pancrace était un autre sport de combat plus
violent et parfois meurtrier.
Les disciplines ont un autre sens. La course à pied, le
saut et le lancer de javelot sont des gestes assez simples. C'est
à la notion de geste qu'on peut revenir pour demander la
valeur du jeu d'échecs. Le geste est un mouvement simple
et naturel, naturel dans le sens où le saut en arrière,
la course à pied à reculons etc. n'ont jamais été
des disciplines olympiques. La natation et le bowling, une activité
très vieille implique également le geste.
D'autres sports utilisent des objets. Le vélo
et le sport automobile ont le même but que la course à
pied et un coureur automobile dirait que l'auto est comme le prolongement
du corps. Le tir n'a certes pas le même but que le javelot,
mais le pistolet est aussi comme le prolongement du corps, dans
ce qu'on vise avec les yeux et on s'imagine atteindre le but.
La gymnastique implique en partie des mouvements
qu'on pourrait dire naturels, bien que les contorsions qu'on trouve
dans la gymnastique moderne sont un beau développement de
ce qu'on peut arriver à faire avec le corps et quelques disciplines
de la gymnastique à outils montrent une autre signification
du sport : celle de surmonter des obstacles, de les utiliser pour
exprimer le corps.
Il existe également des sports de balle
et les sports de la nature, comme la voile ou l'alpinisme où
il s'agit de vaincre des obstacles de la nature. Qu'on parle de
l'athlétisme, sport de combat ou sport de la nature la signification
est soit d'arriver aux limites du corps, de vaincre l'ennemi ou
de vaincre la nature.
Peut-on alors imaginer les échecs comme
un sport ? On ne trouve guère de définitions de sport
qui ne place pas le corps au centre. M. Bouet le dit ainsi : "Le
sport implique précisément avant tout une activité
corporelle manifeste extérieurement déployée,
où l'accent est précisément mis sur les pouvoirs,
la vitalité, l'efficacité du corps humain".
Il y a bien sûr dans chaque sport une activité
de l'esprit, parfois elle est même déterminante pour
le résultat. On fait de la psychologie sportive, on demande
au sportif de se concentrer et de se montrer ferme et volontaire,
d'avoir l'esprit de détermination etc. Néanmoins,
on peu très bien imaginer l'existence d'un haltérophile
sourd-muet, d'un coureur de vélo simplement bête et
d'un nageur sans idée. Dans les faits les disciplines du
sport des handicapés existent aussi.
Pourtant, que peut-être un exercice naturel
de l'esprit, un geste de l'esprit ? Et comment en faire une sorte
de compétition et mesurer l'excellence ? Si on fait une classification
des activités de l'esprit on en trouve une multitude : la
pensée, l'imagination, le traitement des choses perçues,
la mémoire, la compréhension, etc. Il y a en outre
une partie dont on est conscient, une autre non. Une partie peut
influencer avec la volonté, une autre non.
Un geste de l'esprit pourrait être la mémoire.
On peut en effet argumenter pour la mise en place d'une discipline
sportive qui aurait la mémoire au centre. Se rappeler ou
se mémoriser quelque chose est assez naturel comme activité
de l'esprit et les manières de l'évaluer existent.
Et pourtant cette discipline n'existe pas et on hésiterait
à appeler une telle activité un sport.
Mais pourquoi ? Dans le sport automobile, l'activité
physique semble assez réduite : le coureur tourne le volant
et pousse des pédales. On demande bien aux coureurs d'être
en bonne forme physique, mais c'est aussi parce qu'il fait chaud
dans les machines. L'effort fourni est en outre en grande partie
psychique : il fait être concentré et savoir réagir
vite. Dans le tir au pistolet l'effort est encore moindre. Il est
peut-être moins que l'effort physique du joueur d'échecs.
On peut alors se demander : pourquoi le tir au
pistolet est-il devenu un sport et pourquoi pas l'imaginaire sport
de la mémoire ? Le tireur de pistolet doit être en
bonne forme physique, mais comme on le sait, c'est aussi le cas
du joueur d'échecs de haut niveau.
Il y a donc d'autres critères pour déterminer
ce que c'est le sport, si des tels critères existent. Il
ne faut probablement pas chercher le critère dans l'activité
elle-même, sans tenir compte des idéaux sur le bon
citoyen, le bon guerrier, sur la formation de l'adulte complet,
sur l'hygiène du corps et de l'esprit. Le tir en est un bon
exemple : il faut savoir chasser et rester calme. On peut d'ailleurs
remarquer qu'il a une tendance contemporaine à vouloir faire
accepter n'importe quel sport comme discipline olympique et de faire
valoir n'importe quelle activité comme sport.
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