Ces parties figurent dans la base de parties de
Chessbase, ce qui leur accorde une certaine légitimité.
Le Tartacover de 1936 l’avait fait ainsi que « les échecs
modernes » de Henri Delaire en 1905. Pourtant Le Lionnais
n’en avait publié qu’une dans son « dictionnaire
des échecs » puf 1974 ; celle avec Mme de Rémusat,
en écrivant « ces trois parties sont sans doute apocryphes
»
Murray dévoile la supercherie dans une note au sujet de
l’automate p.877 de « A history of chess » 1913
:
« La partie Napoléon–Bertrand à Sainte
Hélène fut imprimée pour la première
fois dans : « Reminiscences in the life of August Fitzmob
» (Waifs and Strays 1862) du capitaine Kennedy. » Kennedy
avoue dans son livre que c’est une partie Kennedy-Owen.
Napoléon–Mme de Rémusat jouée le 29
mars 1804 à la Malmaison a un témoin privilégié
en la personne de Mme de Rémusat elle-même dans son
livre : « Mémoires de Mme de Rémusat 1802-1808
» tome 1 chapitre V.
Le contexte est particulier ; l’intervention de Joséphine,
épouse du premier consul pour gracier le duc d’Enghien
a échoué. Mme de Rémusat est effondrée.
Après le repas du soir, Napoléon s’assoie par
terre pour jouer avec son jeune neveu, fait remarquer à Mme
de Rémusat sa pâleur, « puis il m’appela
vers une table pour faire une partie d’échecs. Il ne
jouait guère bien, ne voulant pas se soumettre à la
marche des pièces. Je le laissais faire ce qu’il lui
plaisait ; Tout le monde gardait le silence, alors il se mit à
chanter entre ses dents, puis tout à coup, il lui vint des
vers à la mémoire. Il prononça à demi
voix : Soyons amis, Cinna puis les vers de Gusman dans Alzire «
Et le mien quand ton bras vient de m’assassiner. » Nous
continuâmes notre partie, et de plus en plus, je me confiais
à sa gaieté. Nous jouions encore lorsque le bruit
d’une voiture se fit entendre. On annonça le général
Hulin ; le premier consul repoussa fortement la table, se leva,
et entrant dans la galerie voisine du salon il demeura le reste
de la soirée avec Murat, Hulin et Savary.
La partie réellement jouée avec des coups irréguliers
et inachevée ne ressemble guère à la partie
notée où Napoléon fait mat en 14 coups.
La troisième « partie » s’est réellement
déroulée au palais de Schönbrunn le 9 octobre
1909 contre l’Automate.
Napoléon s’est installé dans le palais de l’empereur
d’Autriche et attend le résultat des pourparlers de
paix. Il se faisait présenter savants et inventeurs en les
convoquant au palais. C’est ainsi que vint Maezel, célèbre
inventeur du métronome, qui présenta à l’empereur
des jambes artificielles. Napoléon lui commanda un char pliable
chargé sur la croupe des gens à cheval pour enlever
les blessés du champs de bataille.
Benjamin Constant, valet de chambre de l’empereur raconte
la suite ;
« Maezel avait aussi fabriqué un automate * connu
dans toute l’Europe sous le nom de « joueur d’échecs
», il l’avait apporté au château de Schönbrunn
pour le faire voir à sa majesté et l’avait monté
dans les appartements du duc de Neuchâtel **. L’Empereur
alla chez le prince :je le suivis avec quelques personnes. L’Automate
était assis devant une table sur laquelle le jeu d’échecs
était disposé. Sa majesté prend une chaise
et s’asseyant en face de l’automate dit en riant : «
allons ! camarade , à nous deux ! » L’automate
salue et fait signe de la main à l’empereur comme pour
lui dire de commencer. La partie engagée, l’empereur
fait deux ou trois coups et pose exprès une pièce
à faux. L’automate salue, prend la pièce et
la remet à sa place. Sa majesté triche une seconde
fois ; l’automate salue encore ,mais confisque la pièce.
C’est juste ,dit sa majesté, et pour la troisième
fois, elle triche. Alors l’automate secoue la tête,
et passant la main sur l’échiquier, il reverse tout
le jeu.
L’empereur fit de grands compliments au mécanicien.
Comme il sortait de l’appartement accompagné du prince
de Neuchâtel…
Mémoires intimes de Napoléon Ier par Constant son
valet de chambre
Le temps retrouvé Mercure de France p. 380-381.
Un autre précieux témoignage bien qu’indirect
de cet événement fut publié à Hambourg
en 1909 pour le centenaire de cette campagne, ce sont les mémoire
du comte Eugen von Czernin qui avait commencé son journal
journalier à l’age de 9 ans, en 1809, il en a treize.
Le palais de son père à Vienne loge le général
Savary. Le document se trouve traduit sur www.histoire-empire.org/docs/memoires_1809/czernin_3.htm
Le jeune comte sut le 10 octobre par Savary que l’empereur
avait joué avec l’automate. Il se trouvait que le joueur
choisi par Maezel dans l’automate était un de ses connaissances,
le père Joseph du couvent des écossais.
Le récit que fit le père Joseph est un peu différent
mais complète le récit :
« Il arriva enfin, la mine sombre et apparemment de mauvaise
humeur, considère avec méfiance la machine sous tous
les angles et s’assis devant l’automate sans dire un
mot. La partie commença. Après quelques coups, l’empereur
prit la reine de l’adversaire avec un cavalier, bien que,
selon les règles du jeu, cela ne fut pas possible. Mais l’automate,
dirigé par le père joseph, remit la reine à
sa place et repoussa le cavalier impérial sur son ancienne
case. Napoléon dispersa les pièces avec colère
et s’en alla brusquement. Maezel qui se tenait timidement
auprès n’entendit pas le moindre mot de ce que dit
l’empereur.
La réalité de la partie est un mélange des
deux témoignages, le deuxième est plus frais puisque
noté quelques jours après. La confrontation Napoléon–Automate
n’a rien d’une partie suivie qu’on puisse noter.
Des trois parties notées de Napoléon, aucune n’est
réelle, inventées puis recopiées et commentées
à l’envi par des chroniqueurs peu curieux. L’histoire
des échecs est assez riche et belle pour faire passer la
réalité avant l’imaginaire. Le passe temps quotidien
de l’empereur n’a jamais eu d’autre but que de
le distraire.
* Maezel n’est pas le constructeur, c’est Kempelen.
** Maréchal Berthier, protection rapprochée de l’empereur.
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