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Les Echecs sont un jeu de guerre
Oui, mais un jeu de guerre sans effusion de sang !
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Par Jean-Michel Péchiné |
Il était une fois dans l’Est, un Brahmane avisé du
nom de Sissa. Vers 550 ap. J.-C., ce sage conseiller du souverain
Balhit inventa un jeu magnifique, qu’il nomma
Chaturanga.
Ce terme sanskrit signifie littéralement « 4 membres »,
comme la dénomination usuelle d’une armée de l’Inde ancienne, composée
de 4 corps distincts : Eléphants de combat, Chars de guerre,
Cavalerie, Infanterie, placés sous les ordres d’un monarque (Raja).
Cette sublimation subtile d’une guerre de conquête se jouait à l’origine
sur la table mythique de 8 x 8 cases, appelée Vastu Purusha Mandala,
que les prêtres-architectures utilisaient pour dessiner les plans
des temples et des cités. Mais les Indiens, comme les Perses, leurs
voisins, étaient des joueurs invétérés. Vers 600 av. J.C., ces parieurs
enfiévrés avaient détourné ce diagramme primordial de son usage rituel
premier, en le fondant en une table de jeu profane, qu’ils avaient
rebaptisée Ashatapada, littéralement « Huit carrés ». Tel
est le nom de l’échiquier primitif, vu comme un champ de bataille
stylisé. Déjà, faisant l’objet des enjeux les plus divers, le Chaturanga,
considéré comme le premier des jeux de guerre, se répandit aussi bien
dans les antiques « maisons de jeu » de l’Inde ancienne,
que dans ses plus riches palais.
Le Brahmane Sissa inventant le Chaturanga.
Une représentation typique du mythique Eléphant de guerre (« ashwa », le Fou actuel),
utilisé par le roi Porus contre Alexandre le Grand, lors de la bataille d’Hydapses.
En Russie, cette pièce a conservé son nom primitif, puisque le Fou y est appelé « Slon » (éléphant).
Le Char (“ra-tha”, la Tour actuel) était considérée comme le pièce
la plus puissante du jeu, jusqu’à la réforme de la marche de la
Dame (sans limites dans toutes les directions), inaugurée en Espagne,
à la charnière du 15e siècle.
Une représentation traditionnelle des pièces du jeu perse (Chatrang),
d’après la première édition du traité « Mandragorias seu
Historia shahiludii » (Oxonii e Theatro Sheldoniano, 1694),
de l’orientaliste anglais Thomas Hyde.
Après avoir achevé la conquête de la Perse (642), les combattants de l’Islam
adoptèrent à leur tour les Echecs (Shatranj), qu’ils magnifièrent et introduisirent en
Occident un siècle plus tard, par la Sicile et l’Espagne.
Après les Croisades, le « jeu des Rois » devint le « Roi des jeux » en Europe, récréation
subtile apprécié par les classes oisives et guerrières.
Une représentation typique d’un Cavalier au Moyen Age, selon le
célèbre traité de Moralités (« Liber de Moribus ») du
moine dominicain Jacques de Cesoles, rédigé vers 1300.
Dès lors, une simple défaite concédée sur un échiquier peut dégénérer en une
authentique guerre meurtrière, comme l’atteste cette miniature (France,
15e s.) illustrant la célèbre chanson de geste médiévale des « 4
Fils Aymon ».
A cette époque, l’illustre - et si généreux - héros grec antique Ulysse
est lui-même représenté sous la forme d’un guerrier se distrayant en
jouant aux Echecs, lors du siège de Troie.
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A l’apogée de la Renaissance, l’écrivain François Rabelais enrichit son célèbre roman
« Gargantua » d’un « beau bal d’Echecs vivants », joué sur le tempo d’une bataille.
A l’aube des Temps Modernes, les officiers et leurs subordonnés apprécient ce joli jeu
de stratégie, qui se pratiquent - là aussi - aussi bien dans les tavernes que dans les plus riches palais.
Napoléon 1er lui-même se verra dédié cet original « Jeu de la Guerre »,
créé par l’italien Francesco Giacometti, et qui comporte notamment deux nouvelles pièces : 2 canons !
Le 19e est une siècle sanguinaire…
Un siècle vraiment très sanguinaire, avec l’usage de nouvelles armes de terreur
et l’application dramatique - à la stratégie militaire, comme aux Echecs - de nouveaux dogmes scientifiques.
La Russie entre à son tour dans cette ronde meurtrière…
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Voilà la position critique sur l’échiquier continental !
Et voici les compétiteurs
En 1913, les uns et les autres préfèrent l’amour à la guerre !
En 1914, les enfants eux-mêmes doivent se tenir prêts à s’engager dans la combat…
Juste un break pour se détendre en jouant aux Echecs à bord d’un navire de guerre anglais !
Ou pour préparer la prochaine bataille sur l’échiquier, comme ses membres du célèbre régiment du Royal West Surrey.
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Alors que le défaite se consomme sur les champs ravagés de Verdun, le
dogmatique "Praeceptor Germaniae" Siegbert Tarrasch lui-même est caricaturé en un furieux combattant.
C’est au tour des Etats-Unis de s’engager dans cette folle sarabande meurtrière.
Après la seconde Guerre Mondiale, aux Echecs comme en
Géopolitique, le combat devient idéologique.
En 1991, une partie complexe se joue dans le désert.
Et 12 ans plus tard, c’est une nouvelle partie aussi complexe qui
s’y joue, comme le montre cette caricature de Larry Wright, publiée
dans le journal américain « Detroit News », le 8 avril
2003...
Et en voici une autre, par Clay Bennett publiée dans le magazine « Christian Science Monitor »
de Boston, le 9 avril.
Et ce voyage virtuel par-delà 15 siècles d’histoire des Echecs s’achève !
Mais pas la grande histoire du noble jeu. De Sissa à Bagdad, une fois de plus,
la célèbre cité située sur les rives du Tigre, dont le premier nom était « Medinat
al-Salam » (la Cité de la Paix), également connue pour avoir été le théâtre
du récit féerique des « 1001 Nuits », qui se déroulèrent sous le règne
éclatant du Calife Harün ar-Rachid, à l’aube du 9e siècle. Et plus
précisément, la cité dans laquelle les premiers Grands Maîtres de l’histoire
(Aliyat), comme al-Adli et après lui, as-Suli, explorèrent et codifièrent les
concepts primitifs de la théorie échiquéenne.
De la tolérance et de la prospérité au fondamentalisme, à la pauvreté,
à l’obscurantisme et à la mort. Les temps changent…
© Europe
Echecs 2003 pour toutes ces photographies
(exceptées les 3 dernières, © www.chessbase.com)
Par Jean-Michel Péchiné
LES ÉCHECS Roi des jeux, jeu des rois [1997],
128 pages, ill., sous couv. ill., 125 x 178 mm.
Collection « Découvertes » Gallimard (No 335),
Gallimard -doc. 11,60 €
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© Reyes 1997-2007 (Reproduction interdite sans autorisation)
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