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LE MAX EUWE CENTRUM
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Entretien réalisé et traduit par
Dany Sénéchaud. |
Connaissiez-vous l'existence même du
Max EUWE-Centrum?
Non... Alors je vous propose ici de prendre l'exacte
mesure du caractère unique de Centre international dévoué
à Caïssa. Notre guide est Léo C. M.
DIEPSTRATEN avec qui j'ai d'abord joué deux parties par
correspondance dans le cadre du tournoi mondial consacré
au facétieux Gambit Letton. On peut donc considérer
que l'entretien suivant commença dès 1994. Enfin,
cet échange prit la forme dont vous allez prendre
connaissance, lors d'une première rencontre,
en juin 1996. Aurais-je dû titrer : "Le Max EUWE-Centrum
d'Amsterdam, un Institut unique au monde" ?... C'est que Monsieur
DIEPSTRATEN, Troubadour des Échecs, éminence
grise et propagandiste dévoué, est de ces amateurs
qui, simplement, forcent le respect. Portrait :
Dany Sénéchaud : Le Max
EUWE Centrum (P.O. Box 11513 - 1001 GM Amsterdam) entre dans
sa onzième année d'existence. Pourriez-vous nous dire
quelque chose sur sa création ainsi que sur votre investissement
personnel dans le projet initial ?
Léo Diepstraten. : En 1981, Prof.
Dr. Max EUWE nous quittait et je fus alors appelé
pour constituer un comité qui examinerait les possibilités
de commémorer valablement le grand homme des échecs
hollandais. J'avais dans l'idée de mettre sur pied un Centre
où les joueurs pourraient se rencontrer les uns les autres
et étudier ensemble.
Les premières années nous avions d'abord besoin de
réunir l'argent nécessaire à l'élaboration
d'un tel lieu. En 1986, enfin, nous avions assez pour démarrer
:
D'ores et déjà étaient réunis des jeux,
des trophées, des photos et d'autres documents en tous genres
pour ouvrir un musée et aussi 250 doublons de la bibliothèque
de EUWE (son immense bibliothèque fut léguée
à l'Université d'Amsterdam). Nous pouvions également
louer un local près du Palais Royal (Paleisstraat)
et deux étudiants firent le premier inventaire des objets
exposés.
Pour ma part, j'ai eu l'opportunité de donner tout mon temps
libre pour le Centre du fait d'une retraite prise assez tôt,
après 25 années d'exercice comme directeur du personnel
à la radio et à la télévision catholiques.
J'étais ainsi le premier bénévole du Centre
et membre de la première équipe dirigeante.
Je me souviens avoir visité, au tout début encore,
plusieurs grands éditeurs de livres d'échecs en Allemagne,
tel que Walter RAU à Düsseldorf et Kurt RATTMANN à
Hambourg. A peine avais-je annoncé l'ouverture d'un Centre
à la mémoire du regretté Professeur EUWE, qu'aussitôt
ils me donnèrent un grand nombre de leurs ouvrages pour notre
bibliothèque. Je me souviens très bien de la scène,
à Düsseldorf, où Béatrice RAU me dit de
prendre autant de livres que ma voiture pouvait en contenir !
D. S. : Il semble, à vous entendre,
que la bibliothèque du Centre connut un essor rapide ?
L. D. : Effectivement. D'autant plus
que, pour assurer la pérennité financière,
nous lançâmes une Fondation avec des donateurs qui
pouvaient être des joueurs, des Clubs d'échecs, mais
aussi des organismes et industriels qui désireraient devenir
nos partenaires. Afin de maintenir un suivi avec tous ceux-là
parut bientôt un fascicule trimestriel - the Max EUWE-Centrum
Newsletter -, dans lequel j'annonçais (et j'annonce
encore aujourd'hui !) les acquisitions de livres, les expositions
et activités dans notre musée. Dans chaque livraison,
je donnais également un aperçu de tous les articles
théoriques sur les ouvertures que je pouvais trouver dans
la multitude de revues d'échecs existantes et que nous commencions
de recevoir régulièrement.
Il arriva aussi que la famille de grands joueurs nous gratifient
de lots conséquents de livres. Maintenant, notre fonds s'élève
à plus de 6000 livres ; ceci sans compter les années,
souvent complètes, d'à peu près 120 magazines
venus de tous les continents.
A tel point que, après quelques années d'expansion
de notre bibliothèque et de nos activités, le besoin
se fit ressentir d'accéder à un local plus important.
Nous trouvâmes ce qu'il fallait dans un nouveau square jouxtant
le Vondelpark. La municipalité d'Amsterdam
(plusieurs anciens bourgmestres de la ville sont joueurs confirmés
!) paieraient la location du nouvel édifice
et le conseil municipal décida de rebaptiser ce square :
Max EUWE-Plein et le pont joignant la Vondelpark à
cet endroit : DONNER-Bridge en mémoire de J.H.
DONNER qui fut, après EUWE, le plus talentueux
de nos Grands Maîtres et écrivain célèbre.
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D. S. : J'imagine qu'avec un tel appui
des autorités locales, ainsi installée et reconnue,
votre équipe put s'atteler à la tâche "platonicienne"
de votre intention de départ : Fonder une Académie !
L. D. : (Rires) Je ne sais pas si j'aurais osé
utiliser pareille référence à l'époque
! Mais il est vrai que c'est bien ce projet qui, après le
déménagement bénéfique, reçu
toute notre attention.
A présent, notre Académie internationale prospère
durablement. Internationale, d'abord, parce que nos voisins de Belgique
peuvent venir y suivre les cours. Ensuite, parce que les conférenciers
invités, des Grands Maîtres talentueux tels que ANAND,
GELFAND, HORT, KORTCHNOÏ, NIKOLIC, etc, sont issus de tous
les endroits du monde. L'Académie vise deux types d'auditoire
: D'une part, les jeunes prodiges promis à une belle carrière
de joueur. D'autre part, les joueurs de Club divisés en deux
catégories (< à 1600 et < 2000 points ELO).
Les cours se déroulent un peu partout en Hollande et même
en Belgique (Gent et Antwerpen). L'auditoire ne dépasse jamais
le nombre de vingt participants. En outre, chaque printemps, le
square du Centre est investi par un immense festival (Tournois et
Simultanées).
D. S. : Je connais votre intérêt pour
les multiples facettes culturelles de la "mosaïque échiquéenne".
Ne me dîtes tout de même pas qu'il ne s'agit plus à
l'heure actuelle, que de technique de jeu et d'organisation de tournois,
dans l'enceinte du Max EUWE-Centrum ?
L. D. : Non, bien sûr ! Tous les
aspects sont représentés. Sur l'esplanade, toujours,
nous organisons bi-annuellement un grand marché aux livres.
Chacun peut y venir y vendre ou acquérir un livre épuisé,
rare, etc. Nous avons régulièrement des séminaires
par exemple sur les Échecs et les Arts plastiques; le thème
échiquéen dans la littérature; la psychologie
et l'intelligence artificielle (nous accueillâmes Adriaan
De GROOT (1), âgé aujourd'hui
de 82 ans, à plusieurs reprises); des congrès d'historiens
des jeux. Au congrès de 1994, ils venaient du Japon, d'Angleterre,
d'Allemagne, d'Italie, d'Autriche et de Russie.
Non vraiment, il y en a pour tous les goûts ! En novembre
de la même année, nous avons même accueilli un
Symposium mettant en liaison jeu d'échecs et Management.
Étaient présent deux cents entrepreneurs qui
traitaient sur les questions de Stratégie de la Décision.
Les intervenants étaient des entrepreneurs et des
joueurs parmi lesquels nos deux "locaux" Jan TIMMAN
et Dr. VONNO.
La Hollande est un pays où l'on aime jouer, pas qu'aux
échecs d'ailleurs, mais à toutes sortes de jeux. En
somme, dans notre Institut, beaucoup viennent parce qu'ils apprécient
le jeu plus que le temps d'une simple partie !
D. S. : Les visiteurs se déplacent
aussi pour admirer les joyaux exposés dans le musée.
Combien de jeux y-a-t-il là ?
L. D. : D'abord, j'aimerais faire une
distinction. Pour jouer, nous possédons une cinquantaine
de jeux et un peu moins d'une dizaine d'échiquiers électroniques.
Ce qu'apprécient les amateurs, c'est qu'ils peuvent venir
s'adonner à leur passion dans une grande salle où
sont exposées les photographies de tous les champions et
championnes du monde du jeu !
Pour ce qui est, maintenant, des jeux de collections, le sujet de
votre question, le Max EUWE-Centrum en possède 35
et 125 autres sont en dépôt. Ils proviennent du monde
entier, datent d'époques différentes et sont fabriqués
avec toutes sortes de matériaux : Or, argent, porcelaine,
bois, ivoire, stéatite, os, etc.
D. S. : Avec le Max EUWE-Centrum,
endroit unique en son genre, nous avons une Académie, une
Bibliothèque, un Musée, un Palais des Congrès,
un Festival. Y aurait-il un secteur de vos activités que
nous n'aurions pas envisagé encore ?
L. D. : Je crois, quand même,
que l'essentiel a été dit ! Néanmoins, depuis
quelques années, ce dégage également une demande
auprès de nous : Celle des Chercheurs.
Avec le matériel déjà mentionné, j'ajouterai
d'ailleurs au détail : les Archives BECKER, les Archives
BOOGAARD, les Archives VERBURG qui contiennent, au
bas mot, 110 000 parties manuscrites et classées par ouvertures,
des milliers de finales étudiées qui attendent encore
une publication ! Assez remarquables, également, les Archives
LEMS qui consistent en une immense collection de rubriques
échiquéennes parues dans les journaux des années
30.
Depuis que j'ai édité un livre nommé 250
Years of Correspondence Chess in the Netherlands, pour lequel
j'avais fait une recherche pointue, beaucoup d'auteurs m'ont contacté,
dont Prof. Dr. Carlo Alberto PAGNI de Turin et Riccardo Da CONTI
de Firenze et, bien sûr, des hollandais. Ainsi, comme eux,
chacun d'entre vous peut nous contacter pour demander une recherche.
Cependant, l'organisation de notre microcosme échiquéen,
comme tout autre, a un coût et une contribution sera demandée.
Actuellement, un donateur contribue à la hauteur de 25 Florins.
En échange, il reçoit nos annonces de publications
et d'activités au sein du centre.
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D. S. : Puisque vous mettez le doigt
sur l'aspect financier de tous ces services que vous proposez pour
servir au mieux la culture des échecs, on l'aura compris, j'aimerais
vous interroger sur le point suivant : Comment comprenez-vous le fait
que ne se développe aucun autre Institut similaire ?
L. D. : La question est épineuse...
En principe, je pense qu'il devrait y avoir plusieurs lieux de ce
type voués à notre passion commune. Cependant, cela
exige un investissement important, un climat échiquéen
et financier très sain et une connaissance appropriée
de toutes les facettes culturelles du jeu et de ceux qui y travaillent.
De surcroît, il n'y a qu'une ville ayant une grande tradition
dans ce domaine qui puisse porter un tel projet de façon
durable !
Il y a eut la tentative d'une Fondation à Londres, mais elle
n'a pas survécu. Celle-ci n'exista pas plus de seize mois.
La location était mauvaise, il n'y avait pas de bibliothèque
mais seulement un point de vente et un lieu pour jouer. De plus,
l'endroit n'était pas vraiment accessible pour les jeunes.
En Espagne, ils ont essayé d'ouvrir une Académie (KASPAROV)
mais je crois qu'ils n'ont pas connu le succès du fait que
les cours étaient trop chers !
Nous avions un très bon contact avec BOTVINNIK et
lorsqu'il vint ici, à Amsterdam, il fut impressionné
d'abord par l'envergure de notre bibliothèque. Très
peu de temps après, c'est Alexandre BACH, le représentant
russe auprès de la FIDE qui nous rendit visite, accompagné
de Mme PETROSSIAN. Ils envisageaient de faire un Centre à
Moscou. Bien sûr, il y avait déjà la célèbre
École de BOTVINNIK, mais la bibliothèque était
inexistante m'avait-il dit. A Moscou, l'accès au local est
un problème. Là-bas, cela coûte beaucoup trop
pour leur Fédération.
Le développement le plus récent concerne KASPAROV
qui devait essayer de maintenir un Centre vivant à Tel
Aviv. Il voudrait faire construire l'édifice. L'argent y
est, peut-être aussi le climat depuis l'immigration massive
de joueurs russes d'origine juive. Tout de même, il n'y a
pas encore une véritable tradition. Cependant, la bibliothèque
du regretté joueur israélien CZERNIAK pourrait
être mise à disposition.
Une délégation de Tel Aviv était encore récemment
chez nous pour faire le point.
En Hollande, nous avons environ 30 000 joueurs organisés
mais surtout beaucoup d'amateurs du jeu; peut-être plus d'un
million ? Ensuite, nous avons ici des tournois prestigieux comme
celui des "Hauts-Fourneaux". Beverwijk, Wijk
aan Zee (depuis plus de cinquante ans !), les tournois de jeunes
à Groningen, le tournoi "Interpolis"
de Tilburg, le Mémorial EUWE et le Mémorial
DONNER, etc, sont des repères attendus par les professionnels.
Enfin, il est évident que la grande notoriété
du regretté Professeur EUWE, ex-champion du monde, ex-Président
de la FIDE, écrivain et scientifique éminent, a largement
contribué à notre présente réussite.
D. S. : Avez-vous une image précise
de la pratique du jeu en France ?
L. D. : Pas exactement. Plutôt
une vue d'ensemble. Historiquement, les échecs modernes se
sont déployés dans la vieille Europe : En Espagne
d'abord (LUCENA, RUY LOPEZ), en Italie (Leonardo Da CUTRI,
POLERIO, GRECO), en FRANCE (PHILIDOR, St. AMANT, De La BOURDONNAIS)
en Angleterre (STAUNTON, LEWIS), en Allemagne enfin, avec
Von BILGUER, Von Der LASA, BLEDOW, STEINITZ. Mais aussi,
pour l'Espagne, l'Italie et la France, plus rien !
Je crois savoir, aussi, que l'arrivée de SPASSKY sur
votre territoire fut propice à un renouveau. Vos deux prodiges
LAUTIER et BACROT sont deux références
qui doivent compter dans l'expansion de votre Fédération.
Cependant, il manque encore une tradition de la formation des jeunes.
J'imagine que le tournoi de Belfort et le club de Lyon ont apporté
une reconnaissance européenne, mais il est vrai que vous
n'avez pas non plus une tradition de tournois de dimension mondiale.
Au demeurant, vous avez l'une des meilleures revues : Europe-Echecs.
Des échecs français, je connais également
une joueuse, Murielle CLEMENT. Il y a quelques années,
elle travailla avec nous, comme bénévole, à
l'Institut.
Elle enseigne au Conservatoire d'Amsterdam. Un Opéra de sa
composition, (2) basé sur une partie
LJUBOJEVIC-KASPAROV, fut donné en novembre 1996 au
Théâtre d'Amsterdam, dans le cadre de la commémoration
de notre dixième anniversaire !
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D. S. : Le moment est venu de clore
cet entretien. Revenons un instant sur vos activités. A voir
le dynamisme passionné, à entendre votre parole alerte
sur toutes sortes de sujets échiquéens, je suppose que
vous donnez encore beaucoup pour l'essor du Max EUWE-Centrum,
n'est-ce pas ?
L. D. : Un rappel, si vous le voulez
bien : De 1986 à 1992, je travaillais chaque jour au Centre.
J'étais secrétaire de l'équipe dirigeante,
éditeur de la Newsletter, organisateur et bénévole
dans le Centre. Maintenant, nous avons une secrétaire à
plein temps, un directeur à plein temps et un agent technique,
également à plein temps. Et encore une douzaine de
volontaires assidus. De sorte que, dorénavant, chaque semaine,
je ne passe qu'une ou deux journées sur place.
J'ai 72 ans, j'ai besoin de temps aussi à la maison pour
écrire mes livres et articles. (3)
Également, ma femme, mes enfants et petits-enfants demandent
attention. Je suis très fréquemment en vacances !
D'ailleurs, depuis l'immédiat après-guerre, je suis
venu en France, chaque année. A ce propos, laissez-moi vous
confier un secret :
Tous mes livres furent, en grande partie, écrits en France
! Au grand Pressigny, pas si loin que cela de Poitiers, à
"Creysse chez Martel" en Dordogne et à Boussoulet
près du Puy.
1) Dernier ouvrage paru, en
collaboration avec F. GOBET ; Perception and Memory in Chess Studies
in the Heuristics of the "Professional Eye". Van Gorcum
Ltd. Assen 1996. Dans son jeune temps, avant de se consacrer à
ses recherches en psychologie cognitive, il jouait au niveau de
Maître. Pour la petite histoire, il pratiqua le Gambit Letton
avec réussite, en 1932 !
2) Opéra pour 2 sopranos
et un échiquier. Version audio :
www.dds.nl/~schaak/sketchesofchess.htm
3) 1995-97 : Lettisch Gambiet.
3 tomes. Venlo, Pays-Bas.
2000 (?) : Chess and the art of painting in the Netherlands.
in Bulletin de l'Amateur, n° 4, 1997
avec l'aimable autorisation des anciens Directeurs de la Publication
Bernard Guérin et Dany
Sénéchaud
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