L’Eglise est désignée dans l’histoire des échecs
comme ayant interdit le jeu d’échecs.
Qu’en est- il réellement ?
Le premier document est la lettre du cardinal Damiani au pape Alexandre
II fin 1061 :
Il relate un évènement :
Le cardinal est compagnon de voyage de Michi, évêque
de Florence. Va le soir dans sa petite chambre de prêtre éloignée.
Et apprend le lendemain matin par son palefrenier que « l’évêque
avait pris la tête aux échecs » « dans
une vaste demeure au milieu de la foule des voyageurs en désordre
» (auberge.)
Damiani fait deux reproches à Michi : 1) S’être
donné en spectacle 2) Avoir joué aux dés.
Défense de Michi : « Les échecs (scacus)
sont une chose, les dés (alea) une autre »
A quoi répond Damiani : « Le décret ne mentionne
pas les échecs mais inclus le genre de l’un et l’autre
sous le nom d’alea. Cependant, quand le jeu de dés
est interdit, et c’est un fait établi, sans doute qu’on
ne dit rien du nom des échecs (scacus). Est-ce que le genre
est condamné sous le même mot par l’autorité
? »
Il s’agit là d’un point de droit canon qui permettait
de déposer les évêques ayant joué aux
dés. C’est une mesure qui évitait le détournement
par les joueurs de sommes d’argent destinées à
la collectivité. Louis IX fera de même avec ses fonctionnaires
royaux en 1254.
Pourquoi Damiani qui est juriste de formation pense t-il que le
mot « alea » (jeu de hasard, jeu de dés) puisse
inclure aussi « scacus » (échecs) ?
Il y a là un problème d’évolution
des mots. L’échiquier actuel était désigné
par le mot latin « tabula », or Isidore de Séville
écrit en 636 : « Alea est tabula » . Rien a voir
avec le jeu d’échecs qui n’existait pas, c’est
une extension des dés au plateau de jeu.
La confusion de l’échiquier (tabula) avec le jeu de
dés ne s’arrange pas avec l’existence d’un
jeu de dés appelé « scacus » puis en français
« dringuet, drinquet » sans doute le même que
« le point de l’échiquier ». De quoi s’agit
il ? Le poète Eustache Deschamps (1340-1410) le décrit
en détail dans la pièce 1359 de ses œuvres, "La
farce de Me Trubert et d’Antrongnard".
La couleur de chacun des joueurs est tirée au sort puis on
fixe un enjeu et on lance les dés, le joueur ayant choisi
les blancs doit avoir ses dés sur case blanche, de même
pour les noirs. La mise est pour celui qui a un nombre de points
supérieur. Quand un dés est à cheval entre
deux cases, on dit qu’il boit et le coup est annulé.
L’utilisation de complices pour juger de la régularité
du coup ou d’échiquier truqué par dépression
des cases blanches comme en 1375-76 à Londres avec un jeu
appelé « quek », explique que ce jeu ait été
interdit même par les administrations municipales en raison
des troubles publics induits.
A l’époque des écoles épiscopales à
partir du X° siècle, véritables universités,
les étudiants (clerici) dépendaient de l’évêque
pour la police. Des interdictions de « scacus ,alea »
sont prises par l’évêques Eudes de Sully en 1208
au synode de Paris pour les étudiants « clerici ».
Cela n’empêchera pas une bagarre d’étudiants
pour tricherie aux dés avec meurtre et intervention du pouvoir
royal d’où la grande grève des étudiants
de 1229-31 pour affirmer la liberté de l’université
face au pouvoir royal.
Un vitrail de la Cathédrale de Chartres illustre ce jeu
de dès sur échiquier :
-le fils prodigue.
La condamnation du jeu de dés par l’église
est avérée dans le cadre du droit canon.
La condamnation du jeu d’échecs repose sur une confusion
de termes ; scacus désignant à la fois le jeu d’échecs
et le jeu de dés pratiqué sur l’échiquier.
Dans le roman « Huon de Bordeaux » :
Madame, dit Huon, quelle partie voulez vous jouer ? jouez vous aux
échecs avec les coups ou avec les dés ? – Jouons
le avec les coups dit la dame d’une voix claire.
Il est difficile d’imaginer que le jeu avec pièces
ait pu être interdit alors que le recueil de sermons sur le
jeu d’échecs du dominicain Jacques de Cessoles connaissait
un immense succès en Europe.
Un chapiteau de la cathédrale de Winchester
montre aussi le même jeu.
Lire : “ A history of chess “ Murray -
« Les jeux au royaume de France »,Jean Michel Mehl .
- Œuvres complètes d’Eustache Deschamps |