Le pétulant et orgueilleux
baron de Mùnchhausen, qui avait battu - selon lui - les joueurs
les plus forts de son époque, et que ses commentaires tonitruants
et triomphants avaient rendu célèbre, s'aperçut un jour qu'un
Inconnu, au Café Régence, observait "sans souffler mot" son jeu
"grandiose", l'air peut-être réservé.
"J'enrageais de cette audace et voulut lui donner une leçon sur-le-champ."
Le baron exigea de jouer avec ce partenaire, malgré l'air effrayé
de celui-ci et ses refus répétés. Cependant, le pauvre homme,
très apeuré, consentit enfin à s'asseoir devant l'échiquier.
" J'eus les Blancs et voici la partie que je menai avec vigueur,
confie le baron de Mùnchhausen :
1. é4, d5 ; 2. é5, d4 ; 3. ç3, f6
; 4. éxf6, dxç3 ; 5. fxé7, çxd2+ ; 6. Fxd2, Fxé7 ; 7. Cf3, Cç6;
8. Cç3, Cf6; 9. Cé2, Cd7; 10. Cfd4, Cçé5.
(Diagramme)
Là, je pensais bien que j'allais gagner la Dame et jouai 11.
Cé6 , mais mon redoutable adversaire, sans rien dire,
répondit 11... Cd3, et,
avec tristesse, je m'aperçus que j'étais mat!
"Une partie ne prouve rien, m'écriai-je. Jouons encore ; vous
me permettez de reprendre les Blancs, j'espère, puisque vous
avez gagné :
1. é4, d5 ; 2. d3,
é6 ; 3. Cf3, Cç6 ; 4. Fg5, Fb4+ ; 5. Ré2 !, un plan
stratégique très profond ; 5... Dd7
; 6. Cç3, Cf6 ; 7. a3, h6 ; 8. Fh4, Fa5 ; 9. é5, d4 ; 10. Ca4,
pour m'emparer de la case faible ç5, 10...
Ch5 ; 11. Cc5, Cf4... (Diagramme) Et je m'aperçus
avec stupeur que j'étais mat! "J'étais alors sérieusement fâché".
Voici notre troisième partie :
1. é4, d5 ; 2. d4,
é5 ; 3. c4, f5 ; 4. f4, ç5 ; 5. éxf5, dxç4 ; 6. dxç5, éxf4 ;
7. Fxf4, Fxç5 ; 8. Fxç4, Fxf5; 9. Fxb8, Fxb1 ; 10. Fxg8, Fxg1
; 11. Txb1, Txg8; 12. Txg1, Txb8.
Ici, je réfléchis longtemps et, pour éclaircir
la position, je décidai d'échanger les Dames : 13.
Dxd8+. (Diagramme)
"Jugez de mon étonnement et de la surprise
de tous les spectateurs quand mon adversaire, avec un air très
résolu, s'empara de mon Roi en jouant 13...
Ré8xé1.
- Laissez vos blagues déplacées, m'écriai-je,
frémissant d'énervement. Remettez tout de suite mon Roi à sa
place !
- Et vous, pourquoi avez-vous joué le même coup ? questionna-t-il
naïvement.
- Quelle question stupide! N'êtes-vous pas capable de distinguer
un Roi d'une Dame ?
- Non, répondit-il froidement, je ne connais pas du tout ce
jeu ; je voulais vous le dire dès le début, vous ne m'avez pas
écouté. Tout ce que j'ai pu faire, ce fut d'imiter vos coups
avec les Blancs."
"Un homme qui ne sait même pas la marche des
pièces gagne contre un joueur fort et expérimenté... Je suis
certain qu'une aussi extraordinaire aventure ne peut arriver
qu'à un homme lui-même extraordinaire, tel que moi, le baron
de Mùnchhausen!
Je partis après ces paroles. Mon honneur était sauf ; mais,
pendant longtemps, je n'ai plus touché aux pièces d'échecs !"
Voilà résumée la nouvelle écrite, en 1937,
par E. Lavitch.
Avec l'aimable autorisation de l'auteur, Fernando
Arrabal www.arrabal.org/.