Il serait injuste cependant de ne parler que des célébrités échiquéennes.
Les autres membres ordinaires méritent aussi que l'on dise quelques
mots sur eux. Les plus âgés étaient souvent des hommes aux noms
bien connus sinon même célèbres : familles anciennes ou hommes politiques
ayant joué un rôle dans le passé plus ou moins lointain ou proche.
Parmi les jeunes, certains ont eu une carrière réussie et même brillante
en France en dehors du jeu des rois. Je citerais par exemple, le
nom de Krasner, grand mathématicien, professeur à l'université de
Clermont-Ferrand et de Paris. Il enseignait aux étudiants de troisième
cycle, dirigeait la préparation de leur thèse de doctorat et était
connu dans le monde entier par les spécialistes dans son domaine.
Il faisait très souvent des conférences aux Etats-Unis, en Europe
et au Canada. Je me rappelle une fois, qu'arrivant fatigué de Clermont-Ferrand
pour jouer dans l'équipe du cercle, il s'endormait pendant que son
adversaire réfléchissait et que l'on était obligé de le réveiller
quand c'était à son tour de jouer. Voici un exemple de l'amitié
qui régnait parmi le cercle, je citerais encore le nom de Krasner,
il versait la cotisation d'un joueur installé définitivement au
Venezuela pour qu'il fasse encore parti du cercle. Je citerai aussi
le cas d'un artiste de talent, Vassilioff, peintre, dessinateur
et sculpteur qui bien qu'installé aux Etats-Unis après la guerre,
n'a jamais cessé de s'intéresser au cercle et de demander de ses
nouvelles jusqu'à sa mort à 95 ans et bien entendu il nous rendait
visite lors de ses voyages à Paris. Je me rappelle de l'un de nous,
Georges Fuchs, mon camarade au lycée russe, bien que très occupé
par sa vie professionnelle, jouait autrement en s'occupant de la
création artistique, études et problèmes, et avait acquis une réputation
internationale. Europe-Echecs d'ailleurs, lui avait consacré un
grand article il y a quelques années comme auteur d'études, mais
sa vraie spécialité était la composition de problèmes thématiques
multi-coups. Il obtient le 1er prix lors d'un match France-Espagne
de problèmes en deux coups.
Vint la guerre, l'activité du cercle fut suspendue et ne repris
qu'au retour de la paix. Notre cercle qui avait déménagé maintes
fois depuis sa création fut quelques fois très bien installé. Place
de l'Hôtel de Ville par exemple, au sous-sol d'un grand café, où
l'on s'attardait jusqu'au petit matin. J'ai connu des amateurs qui
revenaient ensuite chez eux assez loin, à pieds, l'un d'eux jusqu'à
Meudon.
Puis le cercle bénéficiait aussi de l'arrivée de nouveaux émigrants
russes. Ces derniers ont beaucoup fait pour la réussite du cercle
puis le cercle a été enrichi de plus en plus par l'apport de membres
d'origine française.
Comment ne pas se rappeler que la fille d'un de nos membres, officier
de la marine impériale, très apprécié et très bon joueur, affectée
bien après à l'ambassade de France à Moscou devint l'épouse du 12ème
champion du monde, Boris Spassky, devenu français depuis et que
tous les joueurs connaissent et apprécient beaucoup.
Malheureusement, tout n'a pas été aussi glorieux, comme l'histoire
assez triste de l'un de nos membres, Efron, et de sa femme Marina
Tsvetaieva, considérée comme l'une des plus grandes poétesses russes
du siècle dernier avec Anna Achmatova. Marina Tsvetaieva nous fut
présentée par son mari à la conférence de Lasker au Conservatoire
russe de Paris.
Le premier tournoi auquel j'ai pu assister, alors que j'étais lycéen,
fut organisé en 1925 dans le pavillon vitré du Palais Royal, et
fut gagné par Alekhine, qui n'était pas encore champion du monde.
Krasner, grand mathématicien, ses voyages, ses chats, ses livres,
ses réceptions, les discours élogieux à ses obsèques.
Au Colisée, la simultanée d'Alekhine sur 60 échiquiers avec 5 consultants
sur chaque échiquier, notre cercle ayant fait Nulle.
Le cercle fut champion de Paris avant la guerre et également en
1976-1977 à son cinquantième anniversaire.
J'ai connu le cercle rue de l'Assomption tout près du lycée russe
de l'époque.
En 1976-1977, le cercle a remporté à nouveau la 1ère place au championnat
de Paris Ile-de-France, le championnat individuel des jeunes remporté
par Didier Chevallier et le championnat individuel de Paris remporté
par Georges Nora. C'était vraiment une bonne façon de fêter le cinquantenaire
du cercle.
Il faut aussi signaler les succès remportés par certains de ses
membres dans le jeu par correspondance.
Alexandre Khazoff, ingénieur de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées
et travaillant dans les colonies, était souvent empêché de jouer
en France, a obtenu d'excellents résultats dans ce domaine en gagnant
parties et tournois et encore davantage Eugène Savostianoff qui
non seulement a obtenu de grands succès dans ce domaine mais qui
a également joué plus d'une fois aux premiers échiquiers dans l'équipe
de France et a obtenu le titre de Maître International par correspondance.
Très fort joueur, Chkaff connaissait un très grand nombre de langues.
Bernstein me récita un soir pendant que je l'accompagnais chez
lui la partie qu'il avait gagné en 1903 contre le grand joueur russe
Tchigorine.
ADDENDUM
Lettre de Marc Quenehen, Président du Cercle
Potemkine (2005)
C'est dans une grande tristesse que Georges m'apprend le décès
de M. Savostianoff, accompagnée d'une grande déception de n'avoir
pas eu le temps de le rencontrer une fois encore. J'ai envie de
faire partager aux jeunes de notre club d'échecs ce que j'ai pu
apprendre de M. Savostianoff et je vais donc vous narrer notre première
et ultime rencontre :
Georges Hirschmann, désormais dernier joueur russe de notre cercle,
en relation avec toutes les générations échiquéennes du club Potemkine
(-6 ans à +94 ans) organisa une entrevue avec M. Savostianoff qui
m'invita à prendre le thé chez lui.
Bien qu'affaiblit par la maladie et l'âge, l'homme qui m'accueillit
avait une grande prestance et un charme certain. Autour d'un thé
aromatisé et de macarons aux noisettes, nous parlâmes de notre club
d'échecs et j'écoutais avec une grande fascination cet ancien qui
avait connu les balbutiements de Potemkine. J'étais émerveillé d'écouter
et de réentendre les carrières des joueurs qui ont marqué l'histoire
de notre cercle. Très vite cependant la discussion s'orienta vers
l'histoire du 20ème siècle que ce "russe blanc" avait traversé.
La révolution russe, l'exil, les guerres mondiales, l'occupation,
la reconstruction... D'une voix chargée de l'effluve du temps, M.
Savostianoff m'expliquait que son arrière-grand-père, le général
Savostianoff, avait combattu L'empereur Napoléon, aux côtés du maréchal
Koutozoff, vainqueur stratégique de la campagne de Russie... La
compagne de M. Savostianoff, d'un sourire franc et éclatant, nous
reproposa du thé et la conversation se dirigea de nouveau vers notre
jeu millénaire :
M. Savostianoff, titré Maître International du jeu d'échecs par
correspondance, me récita ses plus belles parties d'une passion
de joueur encore intacte. A ma question sur un éventuel retour même
éphémère dans nos locaux, le visage de M. Savostianoff s'assombrit
nostalgiquement et il me révéla qu'il se sentait d'un autre monde,
d'une autre époque...
Après l'exil qui suivit la défaite contre les communistes, les "russes
blancs" , fondateurs de notre club d'échecs qui porte le nom d'un
des leurs, étaient en tout point commun avec une belle boule de
neige exposée au souffle d'un vent chaud. Ils se savaient être eux-mêmes
le dernier chapitre d'un passage de l'histoire et après les décès
de Mrs Katlama l'année dernière et de M. Savostianoff aujourd'hui,
nous en lisons les dernières pages... Nommé cette année président
de Potemkine et en discutant avec d'anciens joueurs qui avaient
fréquenté notre cercle à d'autres moments, j'ai longuement songé
à ce que nous pouvions faire perdurer de ceux qui ont crées le club.
Je fus marqué de leur grande érudition et éducation mais aussi de
leur objectivité échiquéenne ainsi que leurs paroles toujours varolisantes
pour l'adversaire dans la victoire comme dans la défaite. Dans la
droite ligne de pensée de notre directeur jeune Fabrice Moracchini,
nous axerons donc notre pédagogie sur le respect de l'adversaire.
Nul doute que M. Savostianoff a retrouvé ses compagnons de jeu et
que d'ores et déjà quelques belles parties se sont déroulées.
Marc Quenehen Président du cercle Potemkine
KRASNER - ANTONOV,
Paris, 1949
1.f4 e5, 2.fxe5 d6, 3.exd6 Fxd6, 4.Cf3
g5, 5.d4 g4, 6.Cg5 f5, 7.e4 Fe7, 8.Ch3 gxh3, 9.Dh5+ Rf8, 10.Fc4
Fb4+, 11.c3 De7, 12.0-0 b5, 13.Fxg8 Rxg8, 14.Rf3 Dxe4, 15.Rg3+ Rf8,
16.Fh6+ Re7, 17.Re3, 1-0
Le Cercle d'Echecs Potemkine :
L'Escale
25, rue de la Gare
92300 LEVALLOIS-PERRET
Tél : 01 42 70 83 84
E-mail : club.potemkine@free.fr
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