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Mieux jouer aux échecs
Le gambit du Roi (1)
Par Bernard Guérin

Après les premiers coups 1.e4 e5, il est coutumier de jouer 2.Cf3 (au moins neuf fois sur dix). Quelle est la raison de ce coup?

Elle est évidente. Il s'agit, bien entendu, de sortir une pièce en la centralisant, d'attaquer le pion adverse et de préparer le petit roque.

Ensuite, 95 fois sur 100, les Noirs répondront 2...Cc6; 4,5 sur 100, ce sera 2...Cf6 et 5 fois sur 1000 (le compte y est) autre chose (moi qui vous cause, j'ai un petit gros faible pour 2...f5 avec lequel je me plante une fois sur trois).

Tout ceci est bel et bien. Ensuite (après 1.e4 e5 2.Cf3 Cc6), on s'engage dans la jungle des débuts ouverts, auxquels tous les joueurs, même débutants, sont peu ou prou préparés.

Il est clair que tout débutant, dès lors qu'il veut progresser un tant soit peu, va se familiariser avec les principales lignes de jeu issues de la défense Damiano (1.e4 e5 2.Cf3 Cc6), qu'il va se créer son petit répertoire, fourbir quelques pièges et chasses-trappes, bref: se préparer. Dans certaines variantes, il étudiera même fort moin et, en tournoi, récitera sa leçon face à un bosseur du même acabit que lui.

Alors, comme l'a dit un poète: "L'ennui naquit un jour de l'uniformité".

A partir de combien de coups, en effet, dans certaines espagnoles ou deux cavaliers commence-t-on parfois à réellement jouer?!...

Que faire pour éviter ça? Pour échapper à cette routine?

La solution, à mon avis, est simple. Il suffit de pratiquer une ouverture où tout - ou presque - peut arriver. Une ouverture tellement ouverte et riche de possibilités que le rat de bibliothèque s'y cassera les dents. Une ouverture où, dès le départ, ce sera votre talent qui comptera à coeur joie, où vos neurones seront à la fête.

C'est pour toutes ces raisons que je ne peux que vous conseiller d'apprendre et de jouer le gambit du roi. Après 1.e4 e5, osez 2.f4! vous ne le regretterez pas.

Vous verrez, dès que vous aurez avancé ce pion, un sentiment bizarre s'installera en vous. Un mélange d'angoisse et de fierté d'avoir osé!

Car après 2.f4!, rien ne peut plus être comme avant. Il n'est plus question de faire machine arrière: il faut y aller!

Le gambit du roi a été, sans conteste, LA grande ouverture du XIX° siècle (et avant). De Greco à Anderssen, on estimait que c'était la seule façon correcte pour les Blancs de jouer immédiatement pour le gain.

Cependant, s'il est vrai qu'un nombre impressionnant de victoires rapides et spectaculaires sont à mettre à l'actif du gambit du roi, il convient néanmoins de garder la tête froide. Dans la position du diagramme ci-dessus, les Noirs ne sont pas obligatoirement perdants!

Le gambit du roi est une excellente école. Car le joueur débutant doit, avant toutes choses, affûter ses armes tactiques, apprendre à calculer, exciter son imagination. Le gambit du roi, mieux que tout autre ouverture, permet cet apprentissage.

Ceci dit, entrons dans le vif du sujet. Quelle est l'idée, le but de ce gambit?

La réponse est évidente: en jouant f4, les Blancs (le gambit accepté ou refusé) ouvrent la colonne " f " pour leur Tour et écratent le pion e5 du centre, qu'ils pourront eux-mêmes occuper par d4. Après Fc4 et 0-0, il est clair que la case f7 va devenir un objectif soumis à une rude attaque.

Cependant, après 1.e4 e5 2.f4 exf4, les Blancs sont menacés de l'intrusion Dh4+. C'est le genre de coup qui effraie les débutants. Alors qu'il est tout à fait possible de l'ignorer et de jouer tranquillement 3.Fc4. Car après 3...Dh4+ 4.Rf1, les Blancs ont la meilleure partie.

Témoin cette partie, vieille d'un siècle et demi et qu'on trouve dans tout bon livre d'initiation, appelée "l'Immortelle".

Anderssen - Kieseritzky [C33]
Londres, 1851

1.e4 e5 2.f4 exf4 3.Fc4 Dh4+ 4.Rf1 b5 5.Fxb5 Cf6 6.Cf3 Dh6 7.d3 Ch5 8.Ch4 Dg5 9.Cf5 c6 10.Tg1! cxb5 11.g4 Cf6 12.h4 Dg6 13.h5 Dg5 14.Df3 Cg8 15.Fxf4 Df6 16.Cc3 Fc5 17.Cd5! Dxb2

18.Fd6!! Dxa1+ 19.Re2 Fxg1 20.e5 Ca6 21.Cxg7+ Rd8 22.Df6+!! 1-0 et mat au coup suivant.

(En revanche, après 3.Fc4 Cf6 suivi de 4.Cc3 c6! est excellent pour les Noirs.)

Toutefois, le plus sûr demeure la suite 3.Cf3 et nous arrivons à cette position où les noirs disposent de multiples suites.

Les Blancs ont paré, dans l'immédiat, l'échec en h4. Ils dominent le centre et se préparent à occuper la diagonale iltalienne (c4-h7) puis à roquer. Le Noirs ne peuvent tolérer une telle domination. Comment y faire obstacle?

La contre attaque par 3...g5 est la plus courante et, peut-être, la plus prometteuse des réponses noires (menaçant la poussée g4). Nous y reviendorons. Citons encore, mais sans nous y appesantir car il faudrait plusieurs Gambisco:

- 3...d6, la défense Fischer;
- 3...Cf6, la défense Schallopp. suivi de 4.e5 Ch5 avec de nombreuses suites possibles;
- 3...Fe7, le gambit de Cunningham, qui semble renouveller la menace d'échecs en h4. Toutefois, après 4.Fc4! 4...Fh4+ ne mène à rien de concluant. Personnellement, j'affectionne beaucoup la variante 4.Fc4 Fh4+ 5.g3 fxg3 6.0-0 gxh2+ 7.Rh1 et le Roi blanc est bien à l'bri derrière le pion noir!

Dans cette position pittoresque, les Blancs ont une forte attaque.
J'ai eu l'occasion de la jouer à plusieurs reprises (pourquoi être modeste?):

Haut de la page

Guérin - Laska
Douai 1989

Dans la position du diagramme, on continua par:

7...d5 8.Fxd5 Ch6 9.d4 c6 10.Fb3 Fh3 11.Cxh4 Dxh4 12.Fxh6 Dxe4+? 13.Df3 Dxf3+ 14.Txf3 0-0 15.Fxg7 Rxg7 16.Txh3 Te8 17.Cd2 Te2 18.Txh2 1-0

Ou, à un tout autre niveau:

Baretic - Uremovic
Yougoslavie, 1957

... 9.d4 Fh3 10.Fxh6 Fxf1 11.Dxf1 0-0
11...gxh6? 12.Fxf7+!

12.Dg2 Df6 13.Fe3
mieux et simple: 13.Fxg7

13...c6 14.Cc3 cxd5 15.Cxd5 Dd8 16.Cxh4 Dxh4 17.Fg5 Dh5 18.Cf4 1-0
Vous voyez comme c'est amusant les échecs?!

Mais reprenons notre tour d'horizon des réponses noires à 3.Cf3. Il reste à mentionner:

- 3...h6,
- 3...Ce7,
- 3...f5,

Revenons maintenant à 3...g5

Un petit dessin valant mieux qu'un long discours et une petite partie qu'une longue étude théorique, je me bornerai donc essentiellement à des exemples.

Vous aurez, à travers ceux-ci, une petite idée de la riche diversité du gambit du roi.

Quelques explications cependant pour déblayer le terrain.

Après 3...g5, 4.h4 est le plus fréquent et, sur 4...g4, 5.Ce5 ou 5.Cg5 introduisent le variantes Kieseritzky et Allgaier, avec une infinie de suites possibles.

Ou encore, après 3...g5, 4.Fc4 et, sur 4...g4, les Blancs peuvent poursuivre hardiment par 5.0-0 (ou 5.Cc3 ou 5.d4), sacrifiant un Cavalier pour leur développement (gambit Muzio).

Si les Noirs, de leur côté, ne veulent se frotter au Muzio, ils préfèreront, après 4.Fc4, jouer 4...Fg7 et continuer 5.h4 h6 6.d4 d6, etc. avec des chances au moins égales.

Enfin, et pour en finir avec ce rapide tour d'horizon, le gambit du roi peut, bien sûr, être refusé. Et pour cela, le contre-gambit Falkbeer est une réplique particulièrement virulente: 1.e4 e5 2.f4 d5! avec deux suites principales: 3.Cf3 et 3.exd4.

On peut dire qu'il existe, pour les Noirs, autant de possibilités d'action que pour les Blancs. Mais ils doivent être particulièrement prudents et précis. Des jeux aussi ouverts donnent lieu à des combinaisons fulgurantes et à des déroutes rapides. Les Noirs n'ont aucun intérêt à s'accrocher à un avantage matériel mais privilégier leur développement et un jeu de contre attaque.

Quelques belles réalisations (à consommer avec modération):

Greco - X [C38]
1620

1.e4 e5 2.f4 exf4 3.Cf3 g5 4.Fc4 Fg7 5.d4 d6 6.Cc3 c6 7.h4 h6 8.hxg5 hxg5 9.Txh8 Fxh8 10.Ce5 dxe5 11.Dh5 Df6 12.dxe5 Dg7 13.e6 Cf6 14.exf7+ Rf8 15.Fxf4 Cxh5 16.Fd6# 1-0

Macdonnell - Popert [C37]
1830 [avec avantage de la Ta1]

1.e4 e5 2.f4 exf4 3.Cf3 g5 4.Fc4 g4 5.Cc3 gxf3 6.0-0 c6 7.Dxf3 Df6 8.e5 Dxe5 9.Fxf7+ Rxf7 10.d4 Dxd4+ 11.Fe3 Dg7 12.Fxf4 Cf6 13.Ce4 Fe7 14.Fg5 Tg8 15.Dh5+ Dg6 16.Cd6+ Re6 17.Tae1+ Rxd6 18.Ff4# 1-0

Budzinsky - Morphy [C33]
1859

Le grand Morphy fut, bien sûr, aussi un spécialiste du gambit du roi.
1.e4 e5 2.f4 exf4 3.Fc4 d5 4.Fxd5 Cf6 5.Cc3 Fb4 6.d3 Cxd5 7.exd5 0-0 8.Df3 Te8+ 9.Cge2 Fxc3+ 10.bxc3 Dh4+ 11.g3 Fg4 0-1

Neumann - Dufresne [C30]
1863

1.e4 e5 2.f4 Fc5 3.Cf3 d6 4.Fc4 Cf6 5.Cc3 0-0 6.d3 Cg4 7.Tf1 Cxh2 8.Th1 Cg4 9.De2 Ff2+ 10.Rf1 Cc6 11.f5 Fc5 12.Cg5 Ch6 13.Dh5 De8 14.Cxh7 Rxh7 15.Fxh6 g6

16.Dxg6+ fxg6 17.Fxf8# 1-0

Alapin - Marshall [C32]
Ostende, 1905

1.e4 e5 2.f4 d5 3.exd5 e4 4.d3 Cf6 5.dxe4 Cxe4 6.Cf3 Fc5 7.De2 f5 8.Cc3 Ff2+ 9.Rd1 0-0 10.Fd2 Cxc3+ 11.Fxc3 Dxd5+ 12.Rc1 Td8 13.b4 Fb6 14.De7 1-0
14...Dd7 15.Fc4+ Rh8 16.Fxg7#

Spassky - Fischer [C39]
Mar Del Plata, 1960

1.e4 e5 2.f4 exf4 3.Cf3 g5 4.h4 g4 5.Ce5 Cf6
contre-attaque sur e4: la défense berlinoise du gambit-roi

6.d4 d6 7.Cd3 Cxe4 8.Fxf4 Fg7 9.Cc3 Cxc3 10.bxc3 c5 11.Fe2 cxd4 12.0-0 Cc6 13.Fxg4 0-0 14.Fxc8 Txc8 15.Dg4 f5 16.Dg3 dxc3 17.Tae1 Rh8 18.Rh1 Tg8 19.Fxd6 Ff8 20.Fe5+ Cxe5 21.Dxe5+ Tg7 22.Txf5 Dxh4+ 23.Rg1 Dg4 24.Tf2

24...Fe7 25.Te4 Dg5 26.Dd4 Tf8 27.Te5 Td8 28.De4 Dh4 29.Tf4 1-0

Tous les joueurs d'attaque ont, bien sûr, excellé dans le gambit du roi. Outre les maîtres du passé dont certaines parties ci-dessus illustrent le génie créateur, citons encore: Bronstein, Keres, Planinc, Spielmann, Marshall et bien d'autres.

Aujourd'hui encore, des maîtres tels que Mark Hebden et Spassky, par la vertu du gambit du roi, savent illuminer l'échiquier de feux d'artifice.
Alors, en conclusion, ne jouez plus triste, éclatez-vous: jouez le gambit du roi!

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Par Bernard guérin
In Gambisco N° 26, septembre 1992

A noter : Bernard Guérin est l'auteur de six ouvrages dont trois sur le jeu d'échecs : Le gambit Evans dans tous ses états (1994), Le Jeu des Eschets de Greco (1995), Courts métrages sur l'échiquier (1996). Seule la traduction en notation algébrique du livre de Greco reste aujourd'hui disponible (au prix de 70 francs).
Prière de contacter l'auteur :
Bernard Guérin, 2, Place Saint André. 59800 Lille. Tél : 03.20.42.15.97

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