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Mieux jouer aux échecs
Echecs - Musique
Par Claude Pavy
Cette étude sommaire, qui demanderait à être approfondie, particulièrement dans une réflexion philosophique et / ou épistémologique sur les notions / analogies abordées, n'est qu'une première approche ou un " défrichage " de ce terrain à ma connaissance pas encore ou peu exploré, et est le résultat de débats / réflexions menés essentiellement sur les deux sites Internet " La place Publique " de Notzaï et le " Forum " de France-Echecs.

Toutes les interventions des participants autres que moi-même à ces débats sont en italique.

Jeu-Art et Art-Jeu
Que sont les Echecs et la Musique? Y-a-t'il un rapport entre les deux? Au premier abord et pour la majorité des gens les Echecs sont un jeu et la Musique un art. Et pourtant de nombreux joueurs d'échecs et non des moindres revendiquent la pratique d'un art. De même on dit " jouer " de la musique, " jouer " d'un instrument. Ce n'est donc pas si simple, et pourquoi comparer ces deux activités?
Parce que dans mon activité de professeur de musique j'utilise assez souvent certains aspects des échecs pour essayer d'expliquer ou plutôt de faire " entrevoir-sentir " aux élèves des notions musicales difficiles à faire passer avec des mots mais très importantes, surtout pour les hauts niveaux ayant dépassé les problèmes techniques de base.
Nous laisserons de côté l'aspect " sportif " ou plutôt " compétitif " des Echecs, je pense que ce n'est pas l'attrait principal pour la grande majorité des joueurs amateurs; avant d'être des compétiteurs tout le monde est d'abord attiré par la magie combinatoire et abstraite du jeu.
1. Echecs: Jeu-Art
- A. Alekhine: Pour moi, les échecs ne sont pas un jeu mais un art.
- D. Bronstein dans les années 50 en parlant des joueurs du futur:
...leur travail, qui conduira les spectateurs jusqu'à l'extase, sera apprécié pour lui-même et non les résultats. Le public les verra comme des solistes avec un orchestre de pièces et non comme des vainqueurs ou des vaincus.
Pour lui, catégoriquement c'est un art. (cité par M. Euwe, Avant-propos de " L'art du combat aux échecs " de D.Bronstein).

Nous pourrions citer de nombreux autres joueurs sur le même thème. Dans les compétitions est souvent décerné un " Prix de beauté " à la plus belle (originale, créative) partie du tournoi. De nombreux livres réunissant les plus belles parties des maîtres sont édités et réédités, leurs lecteurs relisent et apprécient ces parties comme on écoute un disque de musique, pour le plaisir esthétique qu'elles procurent. Le domaine de la " composition " des " études " et problèmes d'échecs fonctionne évidemment pour les mêmes raisons.
Une fois assimilées les marches des pièces, l'immense majorité des débutants qui accrochent à ce jeu le fait pour cette composante artistique, beaucoup plus que pour le gain des parties, on en perd tellement au début !

2. Musique: Art-Jeu
On dit " jouer " de la musique, " jouer " d'un instrument, et effectivement sous de nombreux aspects c'est un jeu, il y a des " règles du jeu " à respecter et le musicien " joue " avec elles pour " composer " une oeuvre musicale (règles intellectuelles, théorie musicale) ou simplement produire des sons avec l'instrument (règles pratiques, manuelles). Cet aspect ludique est essentiel pour la " créativité ", l'originalité du propos musical, comme pour l'apprentissage et la maîtrise d'un instrument. Si on a pas envie de " jouer " avec son instrument (le plaisir physique, je dirai même charnel de le manipuler et produire des sons), le travail nécessaire de la " technique " instrumentale devient vite une corvée vide de sens, on ne sait plus pourquoi on travaille, le plaisir disparaît et celui des auditeurs éventuels également. C'est une des notions essentielles dont je parlais plus haut et dont il est parfois difficile de faire admettre l'importance à des élèves obnubilés par leurs performances physiques, " sportives " et qui perdent de vue que la technique n'est qu'un outil au service d'un art.
Un musicien reproduisant de manière purement mécanique les notes d'une partition sans s'occuper de ce que nous racontent les phrases musicales, est comme un joueur d'échecs qui débite les coups appris d'une " ouverture " et se trouve pris au dépourvu, ne sachant plus quoi faire quand sa mémoire s'arrête ou que l'adversaire lui joue un coup qu'il n'a pas appris. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, jouer de la musique n'a jamais été de jouer des notes, celles-ci ne sont que les briques, le matériau de construction des formes musicales. C'est encore plus évident pour le " compositeur " qui doit inventer, jouer avec des " formes ", des " motifs " pour construire une architecture, une " partie " musicale, car ce sont eux que l'auditeur écoutera, pas les notes qui servent à les construire.
Faire de la musique est donc un jeu dans le sens le plus vrai du terme.
Analogies

Botvinnik disait en comparant les échecs à la musique:

Il existe une science dont le but est l'étude de l'acoustique et des sons. Mais il y a aussi un art qui se sert de l'océan des sons : c'est la musique. De toute évidence, il en est de même pour la pensée. La logique est l'étude des lois de la réflexion et les échecs reflètent, en tant qu'art, le côté logique de la réflexion, sous la forme d'images artistiques...

Extrait de " Fischer - Spassky, Reykjavik 1972 " par Alexander & F. Wyndham (Ed. Solar), p 37.

Beaucoup de musiciens jouent aux échecs. Attrait pour des structures intellectuelles similaires ? Je pense que oui. Pour moi, les deux activités sont des manifestations de la pensée symbolique. En cela ce sont des arts, qui expriment chacun sous leur forme propre une harmonie de " mouvements ". La musique n'est que mouvements: mélodiques, rythmiques, harmoniques, de timbres (couleurs , orchestration). Tout cela créant des " tensions / détentes ", qui seront résolues ou non de manière calme ou dramatique, comme aux échecs où les mouvements stratégiques et tactiques créent de manière identique des " tensions " (menaces), qui seront également résolues de manière calme (parées) ou dramatique (réalisées). Dans les deux cas nous pouvons reconnaître des " formes ", " motifs " ou " thèmes " identifiables et classifiables qui donnent aux " œuvres / parties " leur caractère, leur style (dépendants aussi bien sûr de la qualité des interprètes/joueurs).

Le plaisir esthétique procuré par la perception de ce genre de " motifs " est propre à tous les hommes, c'est l'essence même de ces activités, et est révélateur de la nature/spécificité de l'esprit humain. Le succès populaire, l'attirance universelle pour ces deux activités ne peut s'expliquer autrement. Il n'est nul besoin d'être spécialiste ou professionnel pour avoir accès à la beauté d'une oeuvre musicale ou d'une partie d'un Grand Maître. Bien sûr, pour saisir toutes les subtilités techniques de l'intérieur, il faut avoir beaucoup étudié et pratiqué soi-même; on aura alors accès à d'autres aspects du plaisir. Mais pour la majorité des amateurs (qui aiment) ce n'est pas indispensable. Les salles de concert comme les salles de tournois seraient vides, les producteurs de disques comme les éditeurs de livres d'échecs feraient faillite s'ils ne s'adressaient qu'à la minorité de l'élite capable de tout comprendre et analyser, ce qui n'est manifestement pas le cas.
Comment expliquer que tant de gens se lancent dans la pratique / plaisir de ces activités s'il fallait attendre d'avoir un niveau élevé pour en tirer la moindre satisfaction ? Tout simplement parce qu'on s'y amuse !

Intuitions

Une grosse difficulté pédagogique musicale (en tout cas pour moi) consiste à " essayer " de faire entrevoir / sentir aux élèves des notions musicales très difficilement sinon impossibles à faire passer avec des mots mais très importantes, surtout pour les haut-niveaux qui ont dépassé les problèmes techniques de base. Une opinion émise par un joueur sur le site internet France-Echecs m'a beaucoup intéressé:

Je joue mes parties sans calculer de longues variantes mais je passe beaucoup de temps a " sentir la position ".

Pour moi l'analogie est frappante. Pour bien jouer une phrase musicale, il faut d'abord la " sentir ", se la chanter intérieurement AVANT de s'occuper de la technique instrumentale appropriée. Pour bien jouer sa partie d'échecs il faut " sentir " la position, oserai-je dire " se la chanter " AVANT d'envisager des moyens tactiques appropriés, faire confiance à son intuition.

Avis de joueurs:

- Sentir une position aux échecs, pour moi, c'est à la fois visuel et émotionnel.

- On joue sa partie paisiblement : développement des pièces, manoeuvres positionnelles, pièges tactiques... Puis soudainement, serait-ce la grâce, on VOIT un coup qui échappe à toute considération rationnelle. On y pense sans savoir pourquoi. On y pense. Et c'est le meilleur coup. (Je sais que certains entraîneurs recommandent de commencer à regarder les coups qui mettent les pièces en prise, mais je ne fonctionne pas comme cela). Un autre jour, à une autre heure, contre un autre adversaire, cela ne serait pas arrivé. Magie de l'improvisation, de la spontanéité? En effet comment comprendre cette immédiateté ? Par la synthèse temporelle de la succession des étapes du raisonnement que l'esprit par habitude effectuerait de plus en plus vite pour finir par l'effectuer instantanément ? Si elle est irréductible et singulière, l'intuition ne constituerait elle pas une forme de pensée absolument originelle ?

Mais d'autres joueurs nous disent :

- Bien ressentir un chorus (solo instrumental) ou une position d'échecs est à mon avis un sentiment subjectif sécurisant.

Veut-il dire par là que ce sentiment est trompeur, dangereux ? Effectivement, le magnétophone ou l'analyse sont là pour nous remettre les yeux en face des trous si c'était le cas, mais toujours à posteriori, trop tard! Sur quoi peut se baser le musicien ou le joueur d'échecs pour pouvoir faire une prestation de qualité, sinon sur ses sensations du moment ? S'il n'en a pas, ou mauvaises, que pourra-t-il espérer produire ?
La technique aide bien sûr, mais ce n'est que l'outil, d'où ma remarque sur : " Sentir ", " se chanter " une phrase ou une position AVANT la réalisation technique. Car qu'est-ce qui va guider le choix de telle ou telle solution technique, s'il n'y a pas au préalable l'idée, l'intuition du but à atteindre?

- Il me semble que nous faisons une erreur en voulant dissocier calcul et intuition; je crois qu'il y a effectivement une approche " musicale " du jeu, dans laquelle sensation et technique ne font qu'un même processus cérébral. L'école russe enseigne le " ressenti " des positions; en réalité il s'agit de faire correspondre les données échiquéennes avec les données structurelles de notre activité mentale, psychique et émotionnelle (de l'abstraction mathématique jusqu'au sentiment esthétique)

- En musique, on ne commence à jouer que lorsqu'on a dépassé l'aspect technique, aux échecs c'est pareil, les coups viennent instantanément sans qu'on y réfléchisse (c'est pour çà que les forts joueurs sont forts en blitz) quand on a appris la grammaire du jeu tout petit, puis on les vérifie par le calcul, mais c'est un détail... autre chose : les échecs sont aussi un jeu de hasard, car il arrive qu'on estime mal une position...

Je ne rebondirai pas sur le Hasard dans les échecs ! Au grand désespoir de Dany Sénéchaud, j'en suis sûr ! ....
Ce joueur nous parle de " dépasser l'aspect technique " Veut-il dire oublier la technique ?, ou la maîtriser suffisamment pour qu'elle ne pose plus de problème ? suivant la réponse, la phrase a un sens tout différent !
Je pense qu'il n'est pas besoin d'être très fort pour entrevoir / sentir l'essence des échecs ou de la musique. La réalisation technique est autre chose et on est " maître " justement quand on la maîtrise. La technique n'est qu'un outil, il vaut mieux savoir s'en servir, mais ce n'est certainement pas un préalable.
C'est justement une des choses qu'il est difficile de faire comprendre aux étudiants avancés qui sont pétris de technique et obnubilés par elle! Ils en oublient l'essentiel, car comme le dit cet autre joueur :

- je pense que les forts joueurs ne sont pas seulement les plus doués ou ceux qui travaillent le plus, mais aussi ceux qui gardent le plus longtemps cette fascination pour le jeu et par conséquent le goût de la découverte.

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La Théorie

Qu'est-ce qu'on appelle " la Théorie " des échecs ou la " Théorie musicale ". Est-ce que ça regroupe des " lois " comme par exemple la gravitation est une loi de la nature ? Ou plutôt des lois qui sont des " modes " de bon fonctionnement (code civil) ? Ou encore autre chose ?
A quoi ça sert ? C'est un guide ? Un catalogue de recettes ? Y-a-t'il une vie en dehors de la théorie ?

- La théorie aux échecs, n'est rien d'autre que le résultat de la pratique des maîtres.

- On pourrait dire , qu'il s'agisse des ouvertures, du milieu de partie, des finales, qu'elle représente un palliatif aux limites calculatoires de l'être humain (et peut-être de la machine?). Mais en réalité,ne pensez-vous pas que ce " palliatif " se trouve être ce qui fait l'essence de la différence entre pensée et calcul, et bien plus qu'un " inventaire de la bonne pratique ", représente ce qui donne son véritable sens au jeu?

J'aime bien ce qui est dit ici, une " théorie " serait ce qui permet de formaliser, de condenser et rendre intelligible, " sensible " et de s'affranchir de ce qui nécessiterait autrement de gros calculs donc d'économiser de l'énergie, du temps. Ce serait donc plus qu'un " palliatif " mais un progrès.
En musique, si on se limite à la musique tonale (et il existe c'est vrai d'autres " jeux " musicaux, mais interviennent alors d'autres règles qui entraîneront alors une autre théorie), on retrouve le même processus d'accumulation de " formules qui marchent " mieux que d'autres. C'est effectivement ce que je pense et c'est de cette analogie qu'est venue ma question initiale.

La musique a ceci d'extraordinaire, et qui le différencie fondamentalement du jeu d'échecs, qu'en effet elle est accessible à tous. C'est certainement la forme d'art la plus universellement partagée, mais elle a aussi des recoins dans lesquels les non-spécialistes se glissent difficilement.
Je me souviens d'avoir lu sur la pochette d'un disque de Sony Rollins une réaction de l'artiste à un article flatteur, qui décrivait le travail sur tel ou tel morceau en des termes assez techniques, et savants. La réaction était: " Ah, j'ai fait tout ça? Vous savez, moi je me suis contenté de jouer... "

La remarque de Sony Rollins est très bonne ! L'analyse est toujours à posteriori, le créateur en action ne se pose généralement pas ces questions, il utilise en temps réel tout un corpus de savoirs, de réflexes qu'on peut formaliser dans ce qu'on appelle une " théorie " mais pour lui c'est vivant au moment de l'action.

- La théorie fournit un certain nombre de principes dont l'intérêt est avant tout heuristique: ils forment un guide pour la recherche d'un coup mais ne sont en aucun cas intangibles. Le raisonnement aux échecs est pragmatique, chaque position possède SA vérité propre, et la plupart des règles admettent leurs exceptions. C'est pourquoi les " lois " aux échecs ne me paraissent pas être du même ordre que celles de la physique ou celles du code civil mais véritablement d'une autre nature.

- La théorie est pour moi plus qu'un condensé ou le résultat de la pratique des GM.. Certes elle s'appuie sur l'expérience pratique mais elle ne peut se proclamer comme telle qu'après avoir subi un réel travail de synthèse, de généralisation, d'épuration. Cela passe à mon avis forcément par quelque chose de pas si éloigné que le talent de vulgarisateur ou de pédagogue.
Il y a une volonté de s'arracher au-dessus du cas particulier, de pondre des lois générales qui marchent TOUJOURS, même si dans la pratique pour les échecs on n'aboutit QUE (!!) à une meilleure compréhension du jeu.

On pourrait dire exactement la même chose concernant la musique ! Remplacez le mot échecs par musique, ça fonctionne parfaitement !

- Je pense que celui qui saura très bien quoi faire dans telle ou telle situation, aux échecs ou en musique, mais sans pouvoir l'expliquer ou même l'énoncer sera à l'opposé d'un théoricien. Il aura un comportement intuitif, pragmatique, l'esprit bien adapté au problème posé, il se rapproche du " génie " . Ce dernier peut avoir des aptitudes extraordinaires sans être capable d'expliquer comment il arrive à faire ça !
Quant à savoir s'il a une " idée claire " de ce qu'il fait, j'en doute. Le langage occupe une part importante (pour ne pas dire indispensable) dans les raisonnements, s'il est mal maîtrisé... Qu'est-ce qu'une " idée claire " justement ? ça ressemble à quoi ?
Je pense que chacun de nous a sa part de " génie " ; cette compréhension qui nous vient naturellement, en nous surprenant nous même.

Un autre lui répond :

A propos d'idée claire : Il y a l'expression " ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément ". Je trouve qu'elle est source d'abus de la part des spécialistes du langage que sont en particulier les profs. On finit par confondre l'aptitude à faire quelque chose correctement et sciemment avec l'aptitude à en parler.
Le problème se pose exactement dans les termes de " clairement "... Mais qu'est-ce qu'une idée claire? J'ai bien peur que tous ne trouvent pas la clarté au même endroit, ou en suivant le même chemin. Certains ont besoin d'un langage imagé que d'autres trouvent insuffisant voire primaire, alors que les propos de ceux-ci ne paraîtront que verbiage aux oreilles des premiers...

Entièrement d'accord ! C'est exactement ce que j'espère voir " sortir / expérimenter " chez mes élèves en essayant de leur faire quitter l'abri frileux de la théorie rassurante !
En leur faisant voir par exemple que la frontière n'est effectivement pas si claire entre théorie et absence de théorie. Dans toutes les cultures il y a des musiques populaires, " folkloriques ", et parfois plus savantes qu'on ne croit, qui sont le résultat de traditions purement orales, même non dites, fonctionnant simplement par imitation, donc non écrites, non formulées d'une manière théorique et pourtant elles sont très structurées. Mais l'apprentissage de ces structures passe avant tout par le " ressenti intuitif " de l'élève dans la pratique et dans l'action.
Et là dans la pratique, et ce même dans les musiques savantes et écrites, nous rencontrons inévitablement des notions qu'il est très difficile voire impossible de verbaliser, et qui pourtant sont parfois indispensables au pratiquant pour " ressentir / faire corps " avec la situation. Ce qui nécessite de sa part la possibilité / faculté de " lâcher prise " le langage, la verbalisation, pour simplement pouvoir percevoir, vivre la chose de l'intérieur, et pas seulement l'intellectualiser. Même si on peut à posteriori le faire, mais une fois que cela a été vécu / expérimenté de l'intérieur.
J'ai remarqué d'ailleurs une chose très fréquente chez mes élèves. Beaucoup d'entre eux jouent dans des groupes de rock ou de pop-musique, où justement très souvent les musiciens n'ont pas de culture solfégique, sont des autodidactes, et la pratique courante dans ces groupes est essentiellement orale et par imitation intuitive, basée sur le " ressenti " musical. Mais lorsque je leur fais travailler d'autres musiques plus " savantes ", ou simplement parce qu'il y a une partition, ils mettent de côté, ne veulent plus se servir de ce " ressenti " qu'ils utilisent tout à fait naturellement par ailleurs. Ce qui pose quelques problèmes !
Car pour certaines choses, le langage est limité, impuissant à donner les clefs de la pratique, d'une pratique réelle, vécue, singulièrement quand ce sont les émotions, les sentiments qui sont en jeu. Et la musique s'adresse d'abord à ça !
Si l'apprentissage est bien mené, dans la " pratique " la théorie s'efface progressivement au profit du ressenti. Où est la limite ? Floue sûrement, mais on peut comprendre qu'il y a inévitablement " va-et-vient " entre les deux, qui se nourrissent mutuellement.
Je connais malheureusement trop d'interprètes qui voudraient se passer de ce " va-et-vient. Peur de leurs sensations ? Attirance pour le mirage de la " vérité " ? Mais où est la vérité en art ?? Et donc qui pensent que " l'interprétation " est une chose qui doit se codifier suivant des canons fixes et définitifs, Absurdité !
Comme si " interpréter " devait se passer de la personnalité, la sensibilité propre de l'interprète! Ils s'abritent le plus souvent derrière la tarte à la crème de " la fidélité au texte ", " le texte et rien que le texte ". Mais c'est quoi un texte musical ?
Une partition, ce n'est que des petits dessins sur du papier, c'est un plan d'architecte ou une carte routière, rien d'autre. Qu'est-ce que doit faire l'interprète ? Il doit aller chercher à l'intérieur de lui-même des sensations, des émotions que lui suggère la partition (donc imaginer une dramaturgie) et les donner, les faire passer aux gens en face de lui qui sont venus pour ça, ne pas l'oublier !
En musique comme aux échecs, il est évident qu'on ne cesse d'être en " apprentissage ", et plus on en sait, plus on comprend, plus on découvre de nouveaux " tiroirs ", on en ferme un, s'en ouvrent 2 ou 3 autres ! La limite recule sans cesse, et pour moi en tout cas, je trouve ça formidable ! Le " va-et-vient " entre ressenti et théorie n'est pas près de finir.

Ce que dit un autre intervenant est très proche de ce que je pense, il dit:

...elle a mes yeux un caractère extrêmement limitatif et d'ailleurs proche du contresens...,ce n'est pas de la théorie au sens usuel du terme mais de la pratique : pratique issue de parties de tournois et pratique issue d'analyses individuelles ou collectives...c'est là où on peut-être réhabiliter la notion de théorie échiquéenne : juste dans la quête de la vérité propre à chaque champion,à chaque joueur...

C'est justement ce que je met en avant (en tant qu'analogie) lorsque j'essaie d'expliquer à mes élèves ce qu'est la théorie musicale, remplacez " théorie échiquéenne " par " théorie musicale " dans ces phrases et cela s'applique parfaitement. Le but étant qu'ils comprennent (comme aux échecs) que la théorie n'est qu'un guide sujet à de nombreuses exceptions ou déviations justifiées (et validées) par la pratique, et qu'une utilisation dogmatique ne mène qu'à des résultats peut-être justes sur un plan formel mais sans intérêt sur le plan créatif et que ce faisant ils nient leur apport personnel, ce qu'on attend d'eux.
Evidemment, ce discours ne satisfait guère ceux qui cherchent des " recettes " ou " formules " toutes faites pour ne pas s'impliquer personnellement par " peur du risque " ou " besoin de se rassurer par peur de se tromper " devant ce que cela implique de responsabilité dans ce que l'on entreprend. Assumer ses erreurs ou ratages fait partie du jeu qu'il soit échiquéen ou musical.
J'ajouterai qu' il y a aussi cet aspect " imparfait " et " tentaculaire, foisonnant " des acquisitions nécessaires pour maîtriser son art, dont les limites reculent sans cesse, qui fait peur aux élèves.
D'ailleurs un enseignant des échecs nous dit :

- je crois pour ma part, que la principale chose que l'on peut enseigner aux échecs (à quelque niveau que ce soit mais particulièrement à partir de 1900-2000) est l'éloge de la COMPLEXITE... au sens philosophique du terme... le jour où un joueur qui désire apprendre commence à se détacher des méthodes toutes faites et stéréotypées destinées à améliorer ses résultats à court terme alors le pas le plus important vers la progression est engagé... ...faire l'impasse sur ce principe revient à progresser plus vite mais à stagner beaucoup plus longtemps et peut-être de manière définitive...

C'est exactement ce que je pense et cela me fait penser à ces musiciens qui veulent ingurgiter les " plans " à la " machin ", ceux à " truc ", etc... se bourrent le crâne avec des gammes dans tous les sens, les modes à l'endroit, à l'envers, sont obnubilés par leur virtuosité, décrocher le badge " Lucky Luke, je joue plus vite que mon ombre ! ", et quand on leur demande de jouer une petite mélodie toute simple mais avec sensibilité et délicatesse, de mettre en valeur l'articulation d'une phrase de Bach, ou de Blues, d'y mettre des nuances, faire sentir son mouvement, ils vous regardent avec des yeux ronds ne comprenant manifestement pas de quoi on leur parle. Ben oui, je ne parle pas de notes, vous vous rendez compte ? C'est plus complexe qu'ils croyaient !

Pour en revenir au terme théorie, le jeu d'échecs me semble toujours rattaché à une véritable conception épistémologique qui suit l'histoire des idées à ce niveau : Karl Popper et sa réfutabilité c'est Capablanca et Botvinnik, Thomas Kuhn et sa logique de la découverte scientifique c'est le classicisme des années 60-70 ( SPassky, Portsch, Fischer, Geller, etc...) et Paul Fereyabend et sa théorie anarchiste de la connaissance c'est le jeu moderne : Kasparov en tête, Anand, Topalov, etc...
C'est là où on peut peut-être réhabiliter la notion de théorie échiquéenne : juste dans la quête de la vérité propre à chaque champion, à chaque joueur, à chaque époque et cette quête s'accompagne généralement d'un méta-discours proche d'un processus de théorisation analogue à ceux que l'on voit dans le domaine des sciences.

On pourrait tout à fait faire les mêmes parallèles pour la musique. Chaque grand compositeur a développé un " méta-discours " autour de son œuvre. Très souvent également en phase avec les idées scientifiques ou philosophiques de son temps. Que l'on pense à Beethoven et la Révolution Française, Debussy et l'impressionnisme, Schönberg avec l'Ecole de Vienne et la naissance de la physique quantique, etc ...

Pour finir sur la Théorie, à propos du " sens " :

Je ne suis pas un expert en "théorie musicale", je ne sais même pas si elle existe ( je ne connaît en fait que cette partie de la physique qu'on appelle acoustique), mais la musique que je sache, n'a pas besoin d'une théorie pour avoir un sens.

L'acoustique est utile pour comprendre la nature des phénomènes sonores (les matériaux sonores) qu'utilise la musique. En tant que " système organisé ", et il n'est pas nécessaire d'être musicien pour s'en rendre compte, la musique (les musiciens) a (ont) développé une (des) théorie(s) sur cette organisation, sa manière de fonctionner.
Mais ces théories, qu'elles soient des échecs ou musicale, donnent-elles réellement un " sens " à ces activités ? Personnellement j'en doute !
Est-ce que le " sens " n'est pas tout autre chose que simplement les modes de fonctionnement, mais plutôt dans le type de regard que chacun porte sur ces activités ?

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La composition

S'il y a un terme commun aux échecs et à la musique, c'est bien celui de " composition ". L'analogie est évidente pour les " compositeurs " de problèmes et études d'échecs.
Elle l'est également pour moi dans la conduite d'une partie, avec évidemment une part dans ce cas d'improvisation qui prendra d'autant plus d'importance que le temps de réflexion sera réduit. Une partie par correspondance ne se gère pas de la même façon qu'en 2h 40coups + 1h KO et encore moins que pour un blitz de 10 ou 5 mn.
Cependant, j'y vois des analogies frappantes. Comme il n'y a rien de mieux qu'un exemple, prenons celui-ci :

Faire une musique sur un texte (une chanson) :
Le compositeur va devoir trouver les coups -- rythme et mélodie -- respectant les données de la position -- le texte.
Il y a bien sûr ce dont parle ce texte, son climat général, qui va influencer esthétiquement le compositeur et lui suggérer tel ou tel type de climat musical, soit dans le même sens, soit en opposition, le contraste résultant étant souvent plus efficace. On peut parler ici de parties fermées, ouvertes ou gambits par exemple. Sur le plan technique de la réalisation il va devoir respecter pour l'efficacité les particularités de la position -- du texte. Placer ses pièces -- notes de la mélodie -- coordonnées entre elles, qu'elles s'appuient les unes sur les autres pour respecter le mouvement de la prosodie. En particulier le respect des appuis naturels de la langue (accents toniques), comme le débit des mots propre à CE texte qui va influencer fortement le rythme de la musique, et j'y vois une analogie très forte avec l'importance de l'ordre des coups d'une combinaison par exemple.
L'alternance des différents passages du texte, moments calmes et forts, sont très comparables aux alternances coups tranquilles (d'attente) -- coups de menaces. La musique devra y répondre de manière appropriée.

D'autres mots du vocabulaire sont communs aux deux activités comme par exemple: Anticipation -- Placement . Qui non seulement ont leur importance dans une composition pour préparer une combinaison -- un effet musical -- mais aussi dans le jeu instrumental (l'exécution).

Par exemple pour trouver un doigté efficace d'une phrase musicale ou d'un accord sur un instrument, nous devons opérer une préparation -- anticipation du geste dynamique, donc d'une trajectoire sur un manche ou un clavier qui me fait penser aux " positions de rêve " de Silman ainsi qu'à une bonne séquence de coups -- éviter les interversions de coups fatales.

Un compositeur de problèmes d'échecs nous dit :

- La composition d'un problème d'échecs a une autre exigence incontournable : que la solution soit juste et unique ! Composer aux échecs et composer en musique sont en fait des créations d'une nature fort différente, voir même opposée. La distinction fondamentale tient dans le mot " solution " : une bonne composition d'échecs est une solution a un thème précis. Mais il n'existe pas, que je sache, de " thématique a résoudre " pour une oeuvre musicale. Force est de constater qu'il faudrait plutôt parler des " antagonismes " entre composition échiquéenne et composition musicale. Ces deux mondes me semblent n'avoir que très peu de choses en commun.

Aux échecs un problème particulier doit évidemment n'avoir qu'une solution unique, d'accord. On pourra appeler ça sa conclusion.
Mais si j'ai bien compris n'étant pas spécialiste de la composition de problèmes d'échecs, ce qui est important c'est le " thème " sur lequel les compositeurs travaillent, et sur lequel ils développent on pourrait dire toutes sortes de " variations ". Mais justement cette pratique est extrêmement répandue dans la pratique musicale ! Travailler avec une " thématique " fait partie de la pratique compositionnelle en musique. Deux exemples :

-- Le principe de la fugue : Un thème est donné au départ par une voix, puis DOIT être repris à l'identique, en tout cas au début, par une seconde voix, puis éventuellement une troisième, etc... Les contraintes sont ici très fortes, et " résoudre " les problèmes d'harmonie que cela pose n'est pas du tout facile, ça s'apparente fortement à éviter les " duals ", on se trouve souvent dans des situations où le nombre de solutions est très réduit, sans parler des critères esthétiques évidents comme l'économie de moyens, ou la continuité logique de chaque voix prise séparément. Le Maître incontesté de ce qui est souvent un tour de force : J.S. Bach.

-- Le principe des variations : Prendre un thème donné et en produire différents développements tout en gardant la structure générale. Ici d'ailleurs un des critères est justement, comme aux échecs pour " la clé " du problème, que le thème d'origine ne soit pas immédiatement reconnaissable. Grand Maître absolu : Beethoven.

Voilà, pour moi cette analogie est évidente. Je la ressent très fort, et ce n'est pas facile à expliquer avec des mots, comme toute expérience artistique où interviennent des émotions.
En insistant bien qu'il s'agit d'une analogie, simplement destinée à donner la possibilité de porter un regard différent sur ces activités, et en restant bien conscient de leurs différences. Ce que décrit ainsi un autre intervenant en disant :

Dessinons non plus un segment entre deux points ( musique et échecs ), mais un triangle avec un troisième point qui aurait des similitudes avec nos deux pôles primitifs.
Je vois un champ où la stratégie joue son rôle, où il faut que des petits guerriers allient leurs caractéristiques complémentaires pour aboutir à un but précis, la défaite du camp adverse, mais où pourtant de nombreux commentateurs ont vu une forme d'art, laissant la part belle aux improvisations et à la beauté esthétique.

Le trac

Beaucoup de musiciens (en tout cas ceux d'un certain talent) connaissent "le trac" en rentrant en scène. Qu'en est-il pour le joueur d'échecs devant un adversaire soit inconnu, soit redouté, ou en commençant une partie importante (classement personnel, par équipe, ou poinzélos) ? Dans les deux cas, le "joueur" sera jugé sur ce qu'il produit, il se met en péril, d'où le trac. Et comment le gérer ?

Certains disent ne pas avoir de trac :

Je suis un jeune joueur de 17 ans, au niveau 2100 maintenant, et au niveau de la peur que je peux ressentir en fonction de la force de mon adversaire, je ne ressens plus du tout de trac, sans doute parce que j'ai fait quelques performances contre des bons joueurs, et que désormais je sais que toutes mes parties sont jouables.

Pourtant le même intervenant nous dit au sujet de "sentir la position" :

... à propos des sensations ressenties au cours de la partie d'échecs, je me joins aux précédents messages que c'est clairement émotionnel. La quantité de stress est absolument fascinante, et à cet effet une rumeur courrait comme quoi des études avaient déterminé en ex URSS que c'était le sport/activité qui provoquaient la synthèse la plus importante d'adrénaline. Lorsque je joue mes parties, j'éprouve parfois lorsque je me rends compte qu'un coup que je trouve mauvais a été joué sur l'échiquier, que ce soit de mon côté ou de l'autre, ... un pincement au coeur, ou alors mon coeur me manque pendant un instant. Cette manifestation physique des troubles émotionnels ressentis lors d'une partie est flagrante n'est-ce pas ?

Répondu : excusez-moi de mettre le doigt là-dessus, mais ce que vous décrivez: le stress, l'adrénaline, pincement au coeur, ça s'appelle le trac ! ça porte pas d'autre nom ! Et ça fait partie du plaisir du jeu, je suis bien d'accord, comme du plaisir de s'exposer sur une scène pour un musicien.

- Pour ma part, si j'ai le trac avant chaque partie, je ne ressens pour autant pas la peur. Je pourrais définir mon trac comme une sorte de prise de conscience de l'événement imminent; pour moi, c'est une condition préalable nécessaire à l'action, " le territoire du souffle " devant ce qui réclame de ma part un engagement profond. Et je trouve délicieux de vibrer autant pour quelques petites idées dérisoires.

- Cependant, l'on sait que l'artiste n'a le trac généralement qu' AVANT d'entrer en scène. Après il joue. Il n'en est pas de même, à mon sens pour le sportif ou le joueur d'échecs, car il se voit jouer.
Quoi qu'il en soit, il n'y a rien de si subtil, agaçant et nécessaire (le joueur d'échecs serait-il masochiste) que de penser (panser?) sa " peur " avant la partie. " Je n'ai connu qu'une seule passion : la peur " disait l'autre. Aussi m'arrive t'il avant une partie d'avoir peur de ma peur. C'est elle qui pourrait me faire perdre, pas mon adversaire ? Qu'importe !

- La présence d'un auditoire, le devoir, pour une raison ou une autre, de séduire cet auditoire, sont les deux conditions permettant au trac de se pointer. Maintenant, l'acte même qui va se jouer devant cet auditoire n'a pas beaucoup d'importance.
Aux échecs, l'une des particularités est que l'auditoire ne doit pas être (seulement) séduit, mais (aussi) détruit (le principal spectateur de la partie, c'est quand même ce sale type en face qui veut me mater mon roi). Mais il y a toujours un auditoire.
A mon sens il existe une différence entre trac et pression: le trac se résout (ou pas) dans le plaisir (ou son absence) à jouer (d'un instrument, aux échecs, de la parole). La pression est liée à l'obtention d'un résultat: nombre minimum de spectateurs pour rentabiliser la tournée, classement Elo à défendre, contrat à remporter... Le stress du résultat ne doit donc à mon avis pas être confondu avec le trac, qui est à mon sens une composante du plaisir.

- Je n'ai pas le trac contre un adversaire, mais simplement pour la position, quand je crois voir quelque chose de beau ou de surprenant. Quand je jouais en compétition, mon coeur s'arrêtait de battre, pour bien se rattraper par la suite. Manquer des combinaisons (et on en rate tous) est ce qui m'angoisse le plus. La performance sportive est reléguée au second plan.

Pour moi, le trac est un désir de bien faire ce pour quoi on est là, et non se mettre en valeur soi-même. Cela dit, je connais aussi des musiciens paralysés par le trac, certains ayant même abandonné de jouer en public, mais c'est un trac alors centré justement sur la non-confiance en soi.

Le trac le plus douloureux, celui qui peut déclencher des réflexes inconscients d'échec (style prendre la mauvaise sortie d'autoroute à 10mn d'un RV super important, arriver pour une foule de raisons avec 59 mn, ou 61 mn de retard dans la salle de jeu, oublier de prendre de nouvelles cordes pour son instrument, en sachant qu'au moins une de celles sur l'instrument peut céder à tout moment), donc ce trac là est à mon avis à la fois égocentré (manque de confiance) et phagocyté par la pression du résultat (l'enjeu est tel que le plaisir disparaît).

Le trac n'est pas réservé à " avant " une prestation, même si c'est là qu'il se manifeste le plus souvent et qu'il disparaît plus tard , " le feu " de l'action aidant, voir plus haut ce qu'en disent d'autres joueurs.
Pour moi, des fois il est là avant et se fait oublier rapidement (signe que ça se passe bien), des fois pas avant et apparaît pendant (le plus désagréable car en général c'est signe que ça marche pas fort!), des fois tout le temps, et des fois rétrospectivement ! Alors?
Il existe aussi des gens qui disent ne jamais avoir le trac (comme Aznavour par exemple), dont le talent est indéniable, et qu'on ne peut suspecter de mentir. Parmi ceux-là, beaucoup disent que c'est sur scène qu'ils se sentent le mieux, en tout cas beaucoup mieux que dans la vie normale. Psycho-thérapie en ce qui les concerne ?

Pour le trac, je crois que seul le plaisir dans l'action le fait s'estomper, ou plus précisément, il devient plaisir. Je crois qu'Aznavour peut dire qu'il n'a pas le trac parce qu'il est tout le temps dans le plaisir.
Et ce qui à mon avis aide le plus: avoir fait ses devoirs. S'être bien préparé, savoir sur le bout des doigts ce que l'on doit faire, tellement que ce n'est plus conscient, quasi instinctif. Donc avoir beaucoup travaillé avant.

Pour moi c'est la même chose, bien être préparé, donc avoir confiance en soi, se relaxer, penser à autre chose juste avant pour garder l'envie, et effectivement il se transforme en plaisir.
Cela dit, j'ai tendance à penser que monter sur une scène et s'exposer, se mettre en danger, n'est pas une situation normale, faut être un peu fêlé ! Mais quel plaisir de dompter ce problème !

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Créativité

En parlant de l'intuition, de la théorie, le concept de créativité a été abordé plusieurs fois.
De quoi s'agit-il ? Est-ce que tout nouveau coup est un coup original ? Est-ce qu'un jeu créateur doit être un jeu fort ? Est-ce que la phrase : " la puissance de création est proportionnelle à la culture échiquéenne " a un sens ?

- La puissance de création échiquéenne (à l'oeuvre au sein d'une conception) se définit par la capacité de s'affranchir des principes établis tout en assurant une correction irréprochable à sa conception...

- Comme en musique ou dans le domaine des sciences, un coup est bien souvent considéré comme "original" lorsqu'il fait l'objet d'une publication. On en délègue alors la paternité à son géniteur, càd le joueur qui l'a employé en partie officielle, ou le théoricien qui le fait apparaître dans ses analyse. Pour que ce coup soit en plus "créatif" (dans le sens où il fait avancer le schmilblick de la théorie), il doit être accompagné d'une solide justification, et non pas seulement d'un N lapidaire indiquant la nouveauté !

De quelle sorte de "création" parle-t-on? Qu'est-ce qui est considéré comme original ? A mon avis il y en a principalement de deux sortes et qu'il ne faut pas mélanger.

1- Echecs: coup inédit dans une position théorique, Musique: structure ou élément compositionnel nouveau dans un cadre établi et que j'appellerai plutôt " nouveauté " ou " invention ". C'est facile à comprendre, également à détecter, problème d'archivage c'est tout, et ne génèrera guère de polémique. Il est " original " dans le sens où il est à l'origine de quelque chose de nouveau.

2- Ce qui, aussi bien dans une partie d'échecs qu'une oeuvre musicale, nous transporte, nous ravit par sa "beauté esthétique", son aspect "artistique". Ici, c'est beaucoup plus sujet à appréciation personnelle donc subjective.

Il est certain la "nouveauté" peut exister sans sentiment esthétique et n'est pas nécessaire à celui-ci et réciproquement. On peut dans le domaine de l'esthétique être "original" tout en s'inscrivant dans un contexte théorique et en en respectant les critères établis. Quelques rares parties ou compositions font aussi l'alliance des deux, ce qui est plus remarquable.
" Original " a donc deux interprétations possibles. Mais dans laquelle ranger certaines parties de Tal dont la "créativité" est reconnue par tous mais dont la "correction" de ses sacrifices spéculatifs (ceux qui nous ravissent, pourtant!) a été infirmée par l'analyse post-mortem? De la même manière, si l'on fait l'analyse de pas mal d'oeuvres de J.S Bach (modèle canonique pour beaucoup de gens), on y trouve des "coups" qui dans un devoir d'élève lui vaudraient sans aucun doute une note à peine passable ou même médiocre car son "respect" des principes est assez souvent "hérétique", mais comme pour Tal, qu'est-ce que ça " sonne " bien ! Quel " plaisir esthétique " !
Je ne crois pas que la " puissance de création " soit proportionnelle à la culture, qu'elle soit échiquéenne ou musicale. Encore que ! Que met-on sous le mot " culture " ? S'agit-il des connaissances emmagasinées qui ne sont que de la mémoire, des données, et mieux vaut en avoir que pas, ou de la capacité à utiliser ce matériau pour en sortir quelque chose de nouveau ? Ce qui est tout autre chose.

Pour terminer sur ce sujet, voici ce que dit Bronstein :

On pense généralement que la créativité échiquéenne est constituée de trois éléments : logique, calcul précis des variantes et techniques, celle-ci incluant les connaissances théoriques. Il existe toutefois un quatrième composant qui est sans doute le plus mystérieux et aussi souvent le plus méconnu. J'entends par là l'intuition, ou si vous préférez l'imagination.
Il surgit parfois des positions qui ne peuvent être évaluées sur la base des principes généraux régissant par exemple les pions faibles, les lignes ouvertes, le meilleur développement, etc., parce que leur économie a été bouleversée dans plusieurs domaines et qu'il est impossible de pondérer de façon précise les conséquences de chaque facteur de déséquilibre.
Entreprendre de calculer les variantes est quelquefois également impossible. Imaginez que les Blancs aient six ou sept suites, et les Noirs cinq ou six répliques sur chaque coup ; on réalise facilement qu'il n'existe pas un génie sur terre capable d'atteindre même le quatrième coup dans ses calculs. C'est là que l'intuition, ou l'imagination, vient à la rescousse : elle a donné à l'art échiquéen ses plus merveilleuses combinaisons, et offre aux joueurs l'occasion de pouvoir ressentir l'émotion authentique d'une véritable création.
Il est faux de dire que l'on ne trouve de parties intuitives que du temps de Morphy, Anderssen et Tschigorine, comme si les parties actuelles étaient toutes basées les principes positionnels et le calcul rigoureux ! Je suis convaincu par exemple que les variantes n'étaient pas toutes analysées jusqu'au bout dans les parties de ce tournoi qui ont reçu un prix de beauté. L'intuition a été et reste l'une des pierres de touche de la créativité échiquéenne.

"L'art du combat aux échecs" de David Bronstein. Ed. Payot. Commentaire sur la Partie n°96, Averbach - Kotov, p237.

Pour moi, cette réflexion me fait immédiatement penser, par exemple, à ce qui devait se passer dans la tête de Strawinsky lorsqu'il écrivit Le Sacre du Printemps.
Il est indéniable que dans une oeuvre aussi foisonnante, certains passages multipliant tellement les voix des instruments, il est impossible de les distinguer toutes séparément. On entend alors globalement ces masses sonores.
Donc comment a-t-il pu concevoir ces amalgames formidables aussi bien mélodiquement qu'harmoniquement que pour les mariages des timbres instrumentaux sinon par intuition, par imagination ? Aidé bien entendu par un métier, une expérience extrêmement solide.
Il a dû faire confiance à son intuition. D'ailleurs certaines études récentes sur la perception auditive montrent sans ambiguïté qu'au delà de 4 voix simultanées, même pour des musiciens expérimentés, il est pratiquement impossible de les suivre, les entendre, séparément, le cerveau ne suit tout simplement pas ! Il passe sur une écoute globale.

Remerciements : Tout d'abord, merci aux deux sites Notzaï ( www.notzai.com ) et France-Echecs ( www.france-echecs.com ) pour avoir accueilli ces débats. Ensuite à tous les participants cités ici, par ordre alphabétique : Brackmar-diemer, Cassepied, Chesslov, Chourmo, Cocovitsch, M.Ducourneau, N.Dupont, J.S Graindorge, Jaymz, Ph.Kesmaecker, P.Lainé, F.Priour, Prométhée, Royalkew, Sissa.
Et enfin à Dany Sénéchaud de m'avoir un peu forcé la main pour mettre tout ça en forme à l'occasion de son colloque Jeu d'Echecs, Arts et Sciences Humaines, Poitiers, 2002

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